Messe du 4e dimanche du Carême

 

Abbé Jean-René Fracheboud, foyer « Dents-du-Midi », Bex, le 18 mars 2012
Lectures bibliques : 2 Chroniques 36, 14-23; Ephésiens 2, 4-10; Jean 3, 14-21 – Année B


Chers frères et sœurs,

 » Son imperméable enfilé en vitesse, les bottes à l’envers, Florian se précipite vers moi en agitant une feuille : « Regarde, maman, j’ai fait un dessin pour toi ! » Lorsque je scrute l’expression de ton petit visage, mon fils, où se mêle la fierté de l’exploit au désir de communiquer, je l’aime déjà, ton dessin…En effet, il n’y a pas, en ce moment, de cadeau plus touchant pour moi que ce gribouillis multicolore de tes trois ans. Je te dis : « Mais c’est gentil à toi de ne pas m’oublier  quand tu es avec tes petits copains » et puis : « Nous allons chercher ensemble une belle place pour l’afficher dans la maison ! » – et tes yeux noisette étincellent de joie. L’idée que ton œuvre pourrait ne pas être à la hauteur ne t’effleure même pas. À la hauteur de quoi, au fait ? Tu as fait ce que l’on peut faire à trois ans, ton cœur, ton intelligence et ton corps (dont les mains portent encore visiblement les traces) se sont donné rendez-vous pour me dire « je t’aime »à travers ton dessin. Le plaisir que cela me fait – voici la preuve suffisante pour la réussite de ton entreprise.

L’autre jour, Seigneur, j’étais en train de me demander quel sera ton regard lorsque nous paraîtrons devant toi, à la fin de notre vie. Et en guise de réponse – me semble-t-il – cette scène presque quotidienne se déroulait devant mes yeux. C’est vrai, quel que soit son degré de perfection, notre vie ressemblera à un gribouillis quand nous la verrons dans ta lumière : que d’immaturité dans l’expression, que d’insécurité dans les traits, que de couleurs mal associées ! Jamais elle ne tiendra aux yeux d’un juge sévère et exigeant ! Or ce n’est pas devant un tribunal que nous présenterons notre vie, mais c’est à une mère, à un père que nous sommes invités à l’offrir. Et toi, mon Dieu, tu n’auras pas le temps d’en relever toutes les imperfections, tellement tu es pressé d’embrasser l’artiste, ton enfant ! A travers le « dessin » tu aimeras celui ou celle qui l’a fabriqué pour toi. 

Cette histoire de Florian, c’est un peu la nôtre, c’est celle de chacun, chacune de nous, appelé jour après jour à tisser la trame de son existence avec les couleurs lumineuses de la réussite, des progrès et des satisfactions, mais aussi les couleurs sombres de l’échec, des lourdeurs, du péché.
Ce qui est merveilleux dans cette histoire, c’est la relation « Regarde, maman, j’ai fait un dessin pour toi ! »Spontanément, Florian vit pour quelqu’un. C’est pour sa maman qu’il fait ce dessin, c’est sa manière transparente de lui dire « je t’aime ». C’est dans ce registre-là que nous sommes appelés à vivre notre foi, une alliance avec un Dieu fou de tendresse pour ses enfants.
La liturgie de ce jour, – les textes proposés à notre méditation -, nous offre des affirmations bouleversantes sur le VISAGE de Dieu, tel qu’il se révèle en son Fils Jésus-Christ :

« Dieu est riche en miséricorde… »

« A cause du grand amour dont il nous a aimés,
nous qui étions des morts par suite de nos fautes,
Il nous a fait revivre avec le Christ. »

« C’est bien par grâce que vous êtes sauvés ».

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique :
ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas,
mais il obtiendra la vie éternelle. »

« Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde,
mais, pour que, par lui, le monde soit sauvé. »

Devant la force de ces paroles, nous ne pouvons que nous laisser toucher, envahir, saisir, remuer par un Dieu qui n’est qu’AMOUR, TENDRESSE, MISÉRICORDE. Comment se fait-il, alors que l’Evangile est si limpide, que nos idées de Dieu et nos cœurs sont encore traversés par les marées noires de la peur, de la culpabilité, comme si Dieu était jaloux de nos bonheurs et qu’il avait un malin plaisir à nous voir écrasés sous le poids du mal et du péché.
Nous ne croyons pas au péché, nous croyons au pardon du péché, nous croyons à la libération que le Christ vient nous offrir par la folie de la croix, par la signature d’un AMOUR qui est allé jusqu’à l’extrême, jusqu’à la démesure. Dieu a tant aimé le monde…La seule chose qui nous est demandée, c’est de lever les yeux vers la CROIX, c’est de sortir de notre enfermement, c’est de risquer la relation, c’est de faire confiance en l’immensité de l’amour de Dieu, qui est toujours au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Notre péché réside souvent dans le fait de ne pas assez croire en la capacité d’amour de Dieu.

Nous réduisons Dieu à notre mesure. « Après ce que j’ai fait !…» Nous nous condamnons nous-mêmes, nous nous mettons hors-jeu de la communion avec le PLUS-QUE-VIVANT… au sens propre, nous nous excommunions. Nous sommes dans la même situation que le peuple de Dieu dans la traversée du désert. Devant la morsure des serpents rampants qui inscrivaient la mort dans la chair, il nous faut lever les yeux vers le serpent de bronze élevé par Moïse. C’est du Christ élevé sur la CROIX que nous vient la vie, que le salut nous est offert en pure gratuité.

En cette période de Carême, nous sommes invités tout particulièrement à refaire cette expérience d’une libération, d’un renouvellement d’une conversion profonde. Nous tourner vers la CROIX pour nous laisser ENVISAGER par ce regard bouleversant du Christ qui nous appelle à la vie.
Il nous redit amoureusement :    
tu vaux plus que ce que tu penses,
tu es plus grand que ton péché,
tu comptes à mes yeux, quoi que tu aies fait.
Je suis capable de voir en toi, dans le profond de toi autre chose que les ratés de ta liberté, que tes faux-pas qui t’ont conduit à des impasses. Il y a en toi une zone d’innocence, un espace virginal où tu peux naître encore au don, à l’amour, à la générosité. Tu n’es pas un être fini, définitivement étiqueté par ton passé, par des choix de vie malheureux, par des actes qui ont semé le malheur et la mort. Tu es en capacité de renaître, de vivre à hauteur de miséricorde  et je suis là pour t’accompagner, te soutenir, t’inspirer, te fortifier dans la mise au monde du « plus grand de toi ».Tu peux devenir le contemporain de Zachée, de Marie-Madeleine,  de la Femme adultère, de l’Enfant prodigue, du Bon larron…Tu entres dans la famille des pécheurs pardonnés, des graciés, des vivants de la miséricorde.

Pour cet engendrement, l’Église nous offre un cadeau exceptionnel : le sacrement du pardon.
Depuis plusieurs années, ce sacrement a perdu de son ‘aura‘, et pourtant il demeure un trésor de grâce lorsqu’il est vécu dans la profondeur et la vérité. Puissions-nous le redécouvrir comme un lieu source, comme une rencontre vivifiante avec le Seigneur qui remet debout dans l’audace et la confiance, qui nous fait passer de l’habitude de soi à l’invention de soi dans la lumière de l’Évangile.

Devant le VISAGE du Christ, visage de la MISÉRICORDE, je sais désormais que je peux tomber plus bas que moi mais pas plus bas que Lui. Je peux exister avec toute l’épaisseur de mon humanité, mes ombres et mes lumières, mes douceurs et mes colères, mes rires et mes larmes, mes humiliations et mes fiertés, mon amour et mon péché. Je peux revendiquer le louable et l’inavouable de ma vie. .Aujourd’hui, demain et toujours je pourrai offrir au Seigneur le dessin de ma vie :
« Seigneur, je fais un dessin pour toi » je pourrai sauter dans les bras du Père, avec le Christ, tout barbouillé des couleurs de ma vie en lui disant : « J’ai tenté d’être un homme, d’être une femme, et je suis ton enfant ! »
Amen

 

 

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