Abbé Jules Crausaz, à la basilique Notre-Dame, Lausanne, le 18 novembre 2001
Lectures bibliques : Malachie 3, 19-20; 2 Thessaloniciens 3, 7-12; Luc 21, 5-19 |
LE TEMPS DE LA PERSEVERANCE
En cette fin de l’année liturgique, l’Eglise nous invite à tourner notre regard sur le temps que nous vivons, le temps de la persévérance.
Dans l’Evangile de saint Luc, que nous venons d’entendre, tout commence par l’évocation du temple de Jérusalem qui faisait l’admiration de certains disciples : cet édifice religieux était la gloire d’Israël, c’était par excellence le symbole de la présence et de la puissance de Dieu au milieu de son peuple.
Ce que vous contemplez, leur dit Jésus, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit.
Imaginez que le pape annonce un jour à la foule des pèlerins réunis sur la place Saint-Pierre à Rome : cette coupole de Michelange, cette colonnade du Bernin, cet ensemble architectural du Vatican… Tout sera détruit, il n’en restera pas pierre sur pierre. Ce serait la consternation.
Nous devinons le scandale provoqué par la prophétie de Jésus au sujet du temple de Jérusalem. D’où la question des disciples : quand cela arrivera-t-il et quel sera le signe que cela va se réaliser ? En d’autres termes, ne serait-ce pas bientôt la fin du monde ? Lorsque saint Luc écrit son Evangile, le temple de Jérusalem a été détruit, il ne reste que le mur des lamentations. On ne peut s’empêcher de penser aux deux tours de New York et à la fragilité de nos réalisations humaines si grandes et si belles soient-elles.
Jésus nous donne ensuite trois recommandations qui gardent toute leur actualité pour notre temps :
– gardez-vous des faux prophètes
– face aux épreuves, n’ayez pas peur
– vous serez persécutés à cause de mon nom.
Tout d’abord, prenez garde de ne pas vous laisser égarer car beaucoup viendront sous mon nom en disant : « C’est moi » ou encore « le moment est tout proche » sous-entendu, la fin du monde est imminente. Ne marchez pas derrière eux.
Toutes les doctrines des diverses « sectes » qui prédisent la date du retour du Christ sont détruites par cette Parole de Jésus. Jésus n’a absolument pas la préoccupation de la date de la fin du monde. Son seul souci au contraire est que ses disciples soient en dehors de la fièvre apocalyptique et des terreurs qui hantent l’imagination des hommes et les font se jeter dans les bras de n’importe quel gourou.
Le monde a soif de sens et cherche une dimension spirituelle à la vie. Il est vrai que cette recherche s’opère souvent en dehors de l’Evangile et en dehors du Christ comme si l’homme pouvait se donner à lui-même sa raison de vivre. C’est le Nouvel Age où l’homme réalise par lui-même et pour lui-même un hypothétique épanouissement humain.
Le deuxième souci de Jésus, après celui de nous mettre en garde contre les faux-messies, c’est de dénoncer la peur : les guerres, les tremblements de terre, les épidémies, les faits terrifiants ne sont pas des signes de la fin du monde et ne constituent pas une raison de s’affoler.
Après les tragédies qui se sont succédées depuis le 11 septembre à New York et cette semaine encore à Alger, nous sommes bouleversés. Actuellement il y a ce déluge de bombes sur l’Afghanistan et la violence en Palestine qui n’en finit pas, ce qui exacerbe la méfiance, la haine d’une frange de l’Islam à l’égard des chrétiens. Tout cela suscite la peur en l’avenir comme si le monde allait sombrer vers les cataclysmes.
L’information accapare trop notre temps et notre esprit. Elle est nécessaire, mais il est encore plus nécessaire de prendre le temps de la réflexion et de la prière pour relire les événements à la lumière de Dieu et de sa Parole. Certes, le terrorisme est un mal qu’il faut éradiquer mais il est encore plus urgent de s’interroger sur les causes qui engendrent le terrorisme et la violence.
Resterons-nous sourds aux cris des pauvres, même si ces pauvres sont parfois manipulés par des hommes sans scrupules : 17% de la population mondiale possède 83% des richesses, voilà un bilan qui suffit à expliquer bien des crises et des frustrations.
Le 20 septembre, au congrès des journalistes catholiques à Fribourg, le professeur Riccardo Petrella a surpris en demandant une minute de silence pour les 37’000 enfants qui meurent chaque jour de faim et de maladie dans l’indifférence générale.
Toutes ces épreuves appartiennent à l’histoire de l’humanité. Mais l’espérance demeure, elle est fondée sur la promesse de Jésus : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. Paul Claudel commente à sa manière la promesse de Jésus : Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, ni même l’expliquer, mais l’habiter de sa présence.
Troisième mise en garde dans notre Evangile : avant tout cela, on portera la main sur vous et on vous persécutera… à cause de mon nom. Ce sera pour vous l’occasion de rendre témoignage. Nous devinons que pour Jésus la seule crainte des disciples devrait être de perdre la foi.
Depuis que les lions ne dévorent plus les chrétiens à pleines dents, depuis que les chrétiens ne sont plus envoyés au goulag, on s’imagine qu’il n’y a plus de persécutions.
Dans un monde sécularisé, sans référence à Dieu, dire que l’on est chrétien consiste souvent à se mettre en marge de la société; prendre des options en accord avec l’Evangile, mettre l’économie au service de l’homme, reconnaître la famille comme le lieu où l’on reçoit la vie et où l’on apprend à aimer, tout cela n’est pas au goût du jour.
En conclusion, chaque événement douloureux de l’existence participe au mystère de Pâques. Il y a une part d’ombre qui nous unit au Christ sur la croix, il y a une part de lumière qui porte en elle un germe de vie et de résurrection. « C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ».