Abbé Bernard Fasel, à l’église St-Martin, Onex, GE, le 7 octobre 2001 Lectures bibliques : Habaquq 1, 2 -2,4; 1 Timothée 1, 6-14; Luc 17, 5-10 |
Nous sommes environ en l’an 600 avant Jésus Christ.
Babylone, nouveau maître du monde, vient de conquérir l’Assyrie, mais il n’y a aucun répit pour les nations opprimées jusque-là par les Assyriens.
Au contraire, Babylone va se montrer encore plus cruelle et plus impitoyable que l’Assyrie.
Dans ces conditions, comment Israël ne sombrerait-il pas dans le désespoir ?
C’est dans cette conjoncture que le prophète Habacuc s’adresse à Dieu, nous l’avons entendu dans la première lecture.
Nous, chrétiens, nous n’avons pas l’habitude de nous adresser à Dieu sur ce ton-là. Ou bien nous croyons que Dieu n’intervient pas dans le monde à coup de miracles, ou bien nous n’osons pas penser qu’il est trop indifférent à nos malheurs pour intervenir, ou bien nous nous révoltons, mais alors nous risquons de devenir athées.
Il nous faudrait peut-être retrouver l’attitude d’Habacuc, qui ne se résigne pas au malheur de son peuple, et qui ne se résigne pas non plus au silence de Dieu. Il s’adresse à lui pour protester : «Combien de temps vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas ?»
Une telle protestation, nous la retrouvons dans de nombreux passages de la Bible : elle était courante en Israël. Sa prière est souvent comme une partie de bras de fer avec Dieu. Rappelez-vous l’histoire de Jacob, qui se bat toute la nuit contre Dieu, et dont Dieu change le nom, au petit matin : «Désormais tu t’appelleras « Israël »», mot qui signifie « fort contre Dieu ».
Dieu répond au prophète Habacuc. Mais de quelle manière ! Il lui dit : «Attends». Et en attendant, Habacuc aura à écrire la prophétie. Victimes de la violence, plongés dans la détresse, les hommes n’auront à se mettre sous la dent qu’une nourriture : le Livre. C’est dire que, vraiment, «le juste vit de la fidélité» ou plus justement de la foi.
Nous voilà donc invités à nous demander ce qu’est vraiment la foi. Est-elle simplement une attente de jours meilleurs ? C’est un peu, en effet, ce qu’a toujours vécu le peuple d’Israël, depuis la sortie d’Egypte. Mais enfin, prise à la lettre, elle risque d’être démobilisatrice. On ne fait qu’attendre un prodige, une intervention divine.
Cette réponse de Dieu à Habacuc ne me comble pas. Elle a l’air de faire bon marché de la souffrance présente. Je veux bien attendre « les lendemains qui chantent », mais enfin !
Ensuite, elle insinue une sorte d’intervention miraculeuse de Dieu, ce qui est un peu naïf. Sans compter qu’on peut se demander pourquoi Dieu n’intervient pas tout de suite.
La foi dont nous parle Jésus est plus réaliste et plus active. Nous croyons que Dieu n’enverra pas douze légions d’anges pour nous empêcher de faire le mal que nous projetons, ni pour fausser l’ordre naturel des choses. Mais, par contre, nous croyons que Dieu nous donne son Esprit, pour nous entraîner à nous faire vivre à son image. Cette démarche tient compte de la réalité : nous croyons que tout, la mort comme la vie, la richesse comme la pauvreté, la santé comme la maladie, tout peut nous servir à réussir notre vie. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, et souvent nous commençons par la première attitude, quand les choses ne vont pas comme nous le voulons : nous commençons par protester et par supplier, voir nous révolter. Ce n’est qu’ensuite que nous avons à « rectifier le tir ». Regardons Jésus. Il commence par dire que si nous avions un tout petit grain de foi, nous pourrions envoyer un arbre se planter dans la mer. Mais il ne le fait pas. Il pourrait demander à son Père d’envoyer douze légions d’anges pour le délivrer, et son Père le ferait. Mais il ne le demande pas. Parce que la foi n’a pas pour projet d’empêcher les choses de suivre leur cours. Ce serait empêcher l’œuvre pascale, l’œuvre de notre salut, de se produire.
Retenons simplement de ces propos de Jésus que croire, ce n’est pas simplement attendre et espérer, mais c’est d’abord agir. La foi est active. Elle met en route. Elle change les choses dans le monde. Dès lors, éliminer la violence, construire la paix, c’est l’œuvre de ceux qui croient et plus généralement de ceux qui font confiance à la vie et à l’homme. La promesse de Dieu est donc entre les mains des hommes. C’est eux qui la réalisent.
Oui, mais voilà que les propos de Jésus sur le serviteur inutile semblent démentir tout ce que je viens de dire. Pourtant, ils supposent une foi active et efficace, celle qui nous fait serviteurs. Mais il y a la manière. Ce que Jésus vous nous dire d’essentiel, c’est que nous avons à nous dépouiller de toute prétention. Il nous invite à mettre notre confiance, non pas en ce que nous faisons, mais en la parole de Dieu.
Voilà une chose très importante, qui va à l’encontre de ce qu’on nous appris au cours de notre éducation religieuse. Nous avons élevé dans une religion où on apprenait à comptabiliser nos « mérites ».
Eh bien Jésus nous invite à sortir d’un type de relation “patron-ouvrier” pour entrer dans la relation vraie avec Dieu : celle qui existe entre un Père et son fils. Là, il n’est plus question de salaire, de mérite, de » donnant donnant « . Ne reste que l’amour. Cette parabole veut nous dire la gratuité de l’amour de Dieu. Si nous avions des titres, Dieu serait forcé de nous aimer, et son amour ne serait plus un choix libre. Par contre, si je crois que je suis aimé sans raison, je sais que je suis aimé pour moi-même, choisi en toute liberté. Aimé sans rien. C’est moi qui suis aimé, pas ce que je fais ou ne fais pas.
Oui, frères et soeurs, tout cela doit nous inviter à la prière : «Augmente, Seigneur, en nous la Foi !»