Messe du 4e dimanche de l’Avent

 

Père Jean-René Fracheboud, le 19 décembre 2004, au Foyer Dents du Midi, Bex
Lectures bibliques : Isaïe 7, 10-16; Romains 1, 1-7; Matthieu 1, 18-24

Dieu comme un visage d’enfant !
Un Dieu qui est tout petit !
Un petit qui est Dieu !
Il s’appelle : Emmanuel. Dieu avec nous !
Qui aurait pu imaginer une chose pareille ?

Chers Frères et Sœurs,
Chers Amis,

Depuis 2000 ans, des hommes, des femmes, de génération en génération, acceptent de se laisser toucher par cet événement, de se laisser surprendre par son audace et de se laisser interroger par ce mystère.

Cette naissance de l’Emmanuel est l’aboutissement de toute une histoire : l’engagement de Dieu qui ne supporte pas les errances et les délinquances de son peuple et qui va payer de sa personne, mettre le prix fort pour permettre à l’humanité de naître enfin à l’amour, à la liberté et à la dignité.

Isaïe l’annonçait solennellement :
« Le Seigneur lui-même vous donnera un signe :
voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils
et on l’appellera « Emmanuel, Dieu avec nous ».

Mais plus qu’un aboutissement, la naissance de l’Emmanuel est un commencement.

Regardez ce qui se passe dans une famille quand un enfant vient au monde ! C’est un bouleversement extraordinaire, plus rien n’est comme avant. Toutes les habitudes, les priorités, les horaires sont changés… Tout se fait désormais en fonction de ce nouveau visage qui est le centre du monde. Tout s’habille de nouveauté.

Nous préparer aujourd’hui à accueillir « L’EMMANUEL » nous engage nous aussi à vivre quelque chose de ce bouleversement, de ce remue-ménage extérieur et intérieur. Cela suppose et demande une forme de dépouillement, d’humilité, de pauvreté qui nous met au diapason de l’événement.

J’ai le sentiment que Joseph a quelque chose d’essentiel à nous dire. Il en sait un petit bout sur les « séismes » et les bouleversements que provoquent, dans nos vies humaines, les irruptions de Dieu. Gardons-nous de faire de Joseph un naïf décoloré, un être sans épaisseur humaine, une sorte de plante d’ornementation créée de toutes pièces pour le scénario de l’incarnation.

Toute cela ne serait que pauvre et lamentable caricature.

Il y a une noblesse humaine dans l’architecture charpentée de cet homme dont on sait peu de chose, si ce n’est sa capacité à se laisser ajuster au projet de Dieu. Il avait un projet de mariage, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, de plus normal, de plus humain et voilà que celle qui l’aime est enceinte. Catastrophe !

Il ne veut pas la dénoncer publiquement
– son amour et son authenticité ne le lui permettent pas.
Il décide de la répudier en secret…lorsque l’ange lui apparut en songe :
« Joseph, ne crains pas de prendre chez toi, Marie.
L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint. »
Joseph s’ajuste à un projet qui le dépasse. Il fait confiance, il s’abandonne, il lâche prise, il s’ouvre à un avenir totalement neuf.

Je me pose la question avec vous !
« Où en suis-je dans ma capacité réelle à m’ouvrir au projet de Dieu ? Aujourd’hui !

Le Christ m’invite à ajuster ma vie à la sienne…c’est-à-dire à ne pas m’enfermer sur moi-même mais à m’ouvrir à Lui.
Cet ajustement concerne toute ma vie : mon travail, ma vie familiale, mes loisirs, mes engagements, mes relations…

Une autre grande qualité de Joseph que nous pouvons accueillir comme une interpellation, c’est la délicatesse et le respect avec lesquels il considère, en Jésus et Marie, le mystère profond qu’ils portent et qu’ils vivent.

Joseph n’est pas un possessif… Marie n’est pas seulement l’épouse qui lui est destinée. Il ne peut la réduire au rôle d’épouse tel que le voyait la société de son temps. Joseph découvre que Marie a, avec Dieu, une relation unique sur laquelle il n’a aucune prise. Il voit que cette relation fondatrice, fondamentale que Marie a avec son Seigneur, prime sur la relation qu’elle a avec lui, Joseph. Marie lui échappe pour une part essentielle d’elle-même et il doit respecter cela en elle. Joseph y consent avec beaucoup de noblesse et de délicatesse.

De même, vis-à-vis, de Jésus, il a cette même ouverture. Il est et il sera au service de cette vie divine qui le dépasse.

Là encore, je vois un grand appel pour chacune de nos vies. Dans nos relations quotidiennes, nous sommes souvent tentés de mettre le grappin sur les autres et de les réduire à nous, à ce que nous attendons d’eux. Remarquez les possessifs charnus de notre vocabulaire : mon mari, ma femme, mes enfants, mon patron, mes employés, mon médecin, mon ami, mon curé… Les autres, et surtout les plus proches, risquent ainsi de n’être que « mon quelque chose ».

Le risque est grand de les abîmer, de les enfermer et de passer à côté de leur originalité, de leur profondeur, de leur mystère.

Joseph nous redit cette voie royale du respect profond de chacune, de chacun, et qui est un autre nom de l’amour.

Joseph est ce juste selon l’expression de l’Evangile, une sorte d’écorce d’arbre solide, rugueuse, sculptée par les années et les événements et qui n’est là que pour abriter, envelopper et accompagner le glissement de la sève. Et cet effacement est d’une grandeur incomparable.

Joseph comme Marie sont et seront, pendant tout le temps de Noël, les éducateurs de notre regard : devenir les scrutateurs passionnés et émerveillés de ce VISAGE d’ENFANT. Il s’agit d’apprendre à lire sur ces quelques centimètres du visage de l’EMMANUEL le tout de l’homme et le tout de Dieu ! L’intuition du philosophe Levinas est plus actuelle que jamais : « le divin s’ouvre à partir du visage humain. »

Avec l’Emmanuel, Dieu entre en humanité afin que l’homme entre peu à peu en divinité.

Ce qui est extraordinaire, c’est que depuis l’incarnation « l’au-delà » devient « en-dedans ». La quête de Dieu ne nous conduit plus à une évasion du monde, à une fuite de nos responsabilités humaines mais à une consécration du monde puisque tout est habité et traversé par la respiration de l’Amour de Dieu…c’est l’immensité du don de Dieu, de ce salut offert gratuitement à toute l’humanité.

Comment peut-on savoir que la nuit est finie et que le jour est en train de poindre demande un rabbin à ses élèves ?
– c’est peut-être quand, de loin, on est capable de distinguer un figuier d’un dattier, propose quelqu’un…
– c’est peut-être quand, de loin, on est capable de faire la distinction entre un mouton et une chèvre, propose un autre…

Non, répond le rabbin.
– C’est quand on est capable de reconnaître, dans n’importe quel visage,
le visage d’un frère ou d’une sœur.
Jusque là, il fait encore nuit dans ton cœur.

Il suffit d’un enfant pour que s’ouvre la vie
comme un sentier de gloire et de lumière.
Depuis Noël, tout visage porte l’empreinte de Dieu et tout rencontre devient une visitation.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *