Abbé Christophe Godel, le 6 avril 2008, à l’église de Vallorbe Lectures bibliques : Actes des Apôtres 2, 14-28; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24, 13-35 – Année A |
Avez-vous fait attention à cette expérience qu’on fait les deux disciples sur la route d’Emmaüs ? « Notre cœur était tout brûlant en nous ». Avez-vous déjà ressenti la même chose ? Votre cœur était tout brûlant en vous…
Qu’est-ce que ces disciples ont véritablement ressenti ? Il faut, je pense, pour bien comprendre, distinguer trois choses : un, le plaisir; deux, la joie; trois est cette expérience profonde dont ils parlent.
Le plaisir, c’est quoi ? C’est une sensation agréable qu’on peut ressentir en nous, provoquée par quelque chose qui la déclanche. On peut penser par exemple au plaisir du palais, quand on mange quelque chose de bon. Si on a envie de retrouver ce plaisir, il suffit de remettre dans la bouche ce qu’on aime… ce qui nous pousse parfois à quelques excès ! La drogue fonctionne sur ce même principe : elle provoque une sensation, en général agréable, qu’on désire retrouver, parfois pour combler un vide ou un mal-être. Le plaisir, on peut donc le provoquer.
La joie, c’est quelque chose de plus profond. C’est un sentiment qui nous vient à l’occasion d’une bonne nouvelle : l’annonce d’une naissance, la victoire de son équipe favorite, recevoir une belle carte postale, revoir quelqu’un qu’on aime. Les Apôtres, quand ils ont vu que Jésus était vivant, ont éprouvé de la joie.
Mais ce qu’ont éprouvé les disciples, sur le chemin d’Emmaüs, était-ce simplement de la joie ? N’était-ce pas quelque chose de plus profond encore ? « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant ? » C’est effectivement une expérience plus profonde, qui n’est pas provoquée par quelque chose d’extérieur, mais par Dieu lui-même. C’est la joie spirituelle. C’est un don de l’Esprit-Saint, qu’il peut déclancher en nous. Et c’est très agréable. C’est stimulant. Ca nous aide à avancer sur notre chemin à nous.
Lorsque les évêques suisses ont rencontré le pape Benoît XVI en novembre 2006, ils se sont posés cette question : « Pourquoi tant de gens ne vont pas à l’église, ne répondent pas à l’invitation de Dieu, et considèrent qu’ils ont des choses bien plus importantes à faire ? Pourquoi ne viennent-ils pas soigner leur vie intérieure ? Comment est-il possible qu’on dise « non » à quelque chose de si grand ? » Et le pape apportait cette réponse : « En réalité, ces personnes n’ont jamais fait l’expérience de Dieu ; elles n’ont jamais ‘goûté’ à Dieu ; elles n’ont jamais ressenti combien il est délicieux d’être ‘touché’ par Dieu. »
Benoît XVI livrait là, sans doute, une expérience très personnelle qu’il avait pu faire, et qu’il aimerait tant partager.
Mais voilà la question : comment faire cette expérience ? Comment goûter Dieu ? Comment sentir son cœur s’enflammer ?
Tout d’abord, il y a une première chose à dire : on ne pourra jamais le provoquer. Dieu est libre de faire faire cette expérience à qui il veut, quand il veut. Ne recherchons donc pas à déclancher un sentiment qui, si on s’y attache trop, si on le recherche pour lui-même, risque de nous faire passer à côté de cette vraie joie de l’Esprit Saint.
Cependant, il y a des lieux ou des actions qui permettent à Dieu, s’il le souhaite, de nous faire éprouver cette joie profonde. Revenons aux disciples d’Emmaüs. A quelle occasion ont-ils vécu cela ? Voilà leur déclaration complète : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route, et qu’il nous faisait comprendre les Écritures ? » C’est au contact des Ecritures, de la Parole de Dieu, que leur cœur s’est échauffé. Cela nous invite à lire la Bible, souvent. Elle est inspirée par l’Esprit Saint. C’est donc lui-même qui va nous y faire entrer, nous la faire goûter. Mais attention, ce n’est pas une simple lecture, comme quand on lit un journal ou un roman. Il faut entrer dans cette lecture avec Jésus, y marcher avec lui, comme les disciples d’Emmaüs. Il faut lui laisser nous l’expliquer. Comment ? Lire en écoutant. Il faut lire la Bible en écoutant Dieu. « Que veux-tu me dire ? » « Seigneur, dis-moi une Parole, fais-moi comprendre ta Parole ». Et peut-être, il répondra, en vous faisant comprendre quelque chose, ou en échauffant votre cœur…
Ce qui a provoqué cette joie spirituelle aux disciples d’Emmaüs, en relisant les Ecritures avec Jésus, c’est surtout la présence de Jésus avec eux, qui les faisait entrer dans son mystère. C’est lorsque nous nous mettons en présence de Dieu que notre cœur peut être touché par lui. Dans les Actes des Apôtres, que nous avons entendu tout à l’heure, Pierre citait le psaume 15 en disant : « Mon cœur est dans la joie…, tu me rempliras d’allégresse par ta présence ». C’est la présence de Dieu, sa proximité, qui permet d’éprouver ce sentiment profond. Le psaume de cette messe le disait aussi, en conclusion : « Devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! »
Alors ? Demeurons en présence de Dieu : c’est ce que nous faisons à la messe. C’est aussi la définition de la prière. Prendre un moment pour être avec lui. L’expérience des disciples d’Emmaüs nous encourage à prendre du temps pour la prière, pour être avec Dieu, tout simplement. Chez soi, dans la beauté de la nature, dans une église : demeurer simplement en sa présence. Les jeunes qui animent cette messe le savent bien : ils organisent régulièrement des temps de prière, en présence de Jésus-Eucharistie, alternant silence et chants pour permettre de rester un moment avec lui. Et ils peuvent témoigner que beaucoup sont régulièrement saisis par Dieu dans ces veillées. Eux-mêmes retrouvent le goût de Dieu, un cœur brûlant, qui leur permet de poursuivre leur route quotidienne dans leurs études, leur travail et leurs autres occupations, avec la joie et le sourire.
Je voudrais terminer par un autre témoignage, celui d’une grande dame qui vient de s’éteindre, en laissant à l’Église et au monde un nouveau mouvement religieux qui porte du fruit, et qu’on appelle les Focolari. Cette dame, Chiara Lubich, a essayé toute sa vie de mettre en pratique le message de l’Évangile qu’elle aimait lire avec des amies, et en particulier la chose la plus importante qu’avait enseignée Jésus : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Elle disait que c’était à cela qu’on devait reconnaître les chrétiens, à l’amour qu’ils ont les uns pour les autres. Il fallait donc non seulement vouloir aimer, mais aimer en acte. Et cela passait par des choses très concrètes. Je vous cite quelques-unes de ses paroles :
« Le véritable art d’aimer demande que nous prenions l’initiative d’aimer, sans attendre que l’autre fasse le premier pas. »
« Décider, chaque matin, de rencontrer chaque personne comme si c’était la première fois, en oubliant ses imperfections et ses défauts, pour mieux l’aimer. »
« On aime toujours mieux certaines personnes, plus proches de nous. Les défauts et les travers des autres nous repoussent. Ce qu’ils nous ont fait de mal nous blesse. Il faut les aimer malgré tout. Cela demande du courage. Mais si nous faisons l’effort, Dieu fera le reste, et nous sentirons la joie dans notre cœur. »
Vous remarquez ce qu’elle vient de dire ? Aimer apporte la joie dans le cœur. On retrouve cette expérience spirituelle. Mais c’est peut-être la plus garantie, celle qui nous conduira le plus sûrement à expérimenter cette joie de l’Esprit. Pourquoi ? Parce qu’en cherchant à aimer notre prochain, d’abord on répond au désir du Christ, et on est donc en communion avec lui. Et ensuite, parce que, dans cette expérience de l’amour mis en pratique, Dieu est présent, et il agit en nous, et il peut nous le faire sentir.
Ce matin, je vous propose de rechoisir ce chemin de l’amour qui puise sa force dans la parole de Dieu et dans la prière. Marchez-y en sachant que Jésus avance avec vous, même si vous ne le reconnaissez pas tout de suite. Appuyez-vous sur l’expérience de tant d’autres hommes et de femmes avant vous, qui ont goûté Dieu, et qui souhaitent vous encourager à le suivre. Et terminons par le témoignage de celle à laquelle nous rendions hommage, Chiara Lubich, qui nous entraîne dans cet art de l’amour :
« Ne pensons à rien d’autre qu’à nous aimer les uns les autres, comme si nous n’avions rien d’autre à faire. Efforçons-nous d’agir ainsi tout au long de la journée. C’est une expérience qui vaut la peine d’être faite. Le soir, nous nous apercevrons que nous avons changé. Nous serons sans doute fatigués, mais avec un nouvel enthousiasme pour cette vie divine formidable que Dieu nous a donnée. Un feu brûlera vraiment dans notre cœur. »