Abbé José Baró, à l’église Ste-Marie à Bienne, le 10 avril 2005. Lectures bibliques : Actes 2, 14-33; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24, 13-35 – Année A |
Les disciples d’Emmaüs
Des disciples accablés, désespérés, qui retrouvent confiance et courage, qui passent du doute à la certitude, des ténèbres de la croix à la lumière de la résurrection : l’évangéliste Luc décrit les étapes d’un long chemin, d’une transformation extraordinaire, d’un « retournement ». Les disciples découvrent, graduellement, qu’il y a une cohérence, une continuité entre le Jésus qu’ils ont connu, si attentif aux hommes et à leurs souffrances, ce Jésus dont ils attendaient tant, mais qui est mort sur la croix, et Celui qui se révèle à eux sur le chemin d’Emmaüs.
Jésus commence par écouter ses compagnons de voyage, par accueillir leur désarroi…Puis il fait revivre devant eux la longue histoire du salut. C’est comme un « film » qui présente l’histoire d’un Dieu qui fait naître à la liberté des tribus d’esclaves, d’un Dieu qui ne tolère pas l’injustice et prend le parti des pauvres. En faisant mémoire de l’amour de Dieu pour les pauvres et les blessés de la vie, en évoquant les prophètes qui, en son nom, avaient pris leur défense, les disciples commencent à comprendre ce qui est arrivé à Jésus. Ils pressentent aussi qu’avec la croix, Dieu n’a pas dit son dernier mot.
« Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » La mort de Jésus et sa résurrection, on ne peut les comprendre qu’en les situant dans le prolongement de sa vie : la liberté dont il a fait preuve par ses attitudes, son langage, l’a conduit à la mort, les Puissants l’ont condamné. En le ressuscitant, Dieu marque son approbation, confirme la révélation que Jésus a apportée. Ce n’est pas pour apaiser le courroux d’un Dieu vengeur que le Christ est mort. C’est par fidélité à un témoignage d’un Dieu qui s’affirme comme miséricorde, qui se fait tout proche avec la bonté, dont les humains ont vraiment besoin. C’est donc en toute confiance à l’égard de son Père que Jésus a affronté jusqu’au bout les épreuves que les Puissants lui ont infligées. Jésus est celui qui nous guide vers le Dieu des vivants.
Et après avoir commenté l’Ecriture, voici que Jésus, l’inconnu du chemin et accueilli comme hôte, devient l’amphitryon du repas. Il prend le pain, le béni, le rompt et le partage. Et voilà que ces quatre gestes sont familiers aux disciples qui ont déjà vécu avec lui. Ces quatre gestes indiquent une pratique habituelle de Jésus lorsqu’il mangeait avec ses amis. C’est pourquoi, les deux disciples d’Emmaüs le reconnaissent. Et cette reconnaissance rétablit les liens avec Jésus brisés par sa mort. Oui, Jésus est vivant !
Le récit des disciples d’Emmaüs renvoie les auditeurs –nous renvoie- non pas à la vision physique, mais à l’expérience de la foi au Dieu des vivants et à l’adhésion du cœur. Voilà que partager le pain de Jésus nous indique alors la participation de sus disciples à sa mission et à son destin ; nous indique aussi la nécessité de partager son mystère le plus intime afin de partager son style de vie et son destin. Lorsque les disciples se sont rendus compte de la présence du Ressuscité, tout devenait clair et cohérent (« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous » ?). Voilà l’expérience révélatrice (« Alors leurs yeux s’ouvrirent »).
Oui, chers amis, en méditant ce récit si riche de sens, nous recueillons l’essentiel du message pascal et donc de l’Incarnation du Fils de Dieu.
Dieu ne peut pas nous abandonner au pouvoir de la mort. Oui, nous sommes au cœur de notre foi chrétienne : nous croyons au Dieu des vivants, au Dieu qui ne veut que la vie et le bonheur de ses créatures. C’est la Bonne Nouvelle !
Les groupes des disciples de Jésus, les Eglises, sont nés de la conviction que Jésus de Nazareth, crucifié et mort, est ressuscité. Les paroles et les actes de Jésus que nous rapportent les évangiles, dévoilent le visage d’un Dieu qui veut pour ses créatures la vie et le bonheur en plénitude. A nous de suivre son exemple, en soulageant la souffrance autour de nous, en oeuvrant pour la dignité de tous.
Dans cette expérience, nous pourrons, comme les disciples d’Emmaüs, « sentir nos cœurs brûler » et « nos yeux s’ouvrir » à la présence d’un Dieu qui ressuscite et vivifie. Dans le parcours le plus normal de nos existences, nous attendons parfois de Dieu des choses extraordinaires, des choses qui attirent l’attention et qui brisent même les « lois de la nature » : voir et toucher le Ressuscité comme Thomas dont nous parlions dimanche dernier. Pourquoi aurions-nous besoin des choses extraordinaires ? De fait, nous avons tout ce qu’il faut : le Dieu des vivants qui se manifeste dans le visage de l’inconnu avec qui l’on fait un bout de chemin ; Le Dieu des vivants qui se manifeste dans l’Ecriture Sainte et dans la communauté chrétienne qui célèbre l’Eucharistie. C’est dans l’Eucharistie que l’on manifeste l’accueil ou le refus de Jésus. C’est en elle que l’on accepte ou non les valeurs nouvelles du Royaume de Dieu prêché par Lui. C’est à la table de l’Eucharistie, à la messe, que l’on manifeste l’accueil ou non des envoyés du Seigneur. C’était la conviction des premières communautés, qu’elle soit la nôtre aussi.