Messe du 3e dimanche de l’Avent

 

Père Guy Musy, à l’église St-Joseph, Genève, le 17 décembre 2006
Lectures bibliques : Sophonie 3, 14-18; Philippiens 4, 47; Luc 3, 10-18 – Année C

Dirige notre joie vers Ta joie.
Que nous célébrions la naissance de ton Fils
avec un cœur vraiment renouvelé !

Etes-vous joyeux ? Question saugrenue que je vous pose à ces heures matinales. Si encore je vous demandais si vous avez bien dormi ou si vous êtes drôles, rigolards ou rigolos.., Non, je vous demande si vous êtes joyeux, habités par ce sentiment profond et apaisant qui s’accommode parfois d’un état de santé délabré, ou d’une existence que la vie a cabossée et fragilisée. La joie, si proche de la paix intérieure, mais qui n’a rien d’inerte ou de morbide, parce qu’elle peut rebondir en éclats de rire, en chants ou en pas de danse ! A la fin de la proclamation des Béatitudes, après avoir fait l’inventaire de cette surprenante cour de miracles où s’entassent les crève-la-faim, les endeuillés, les simplets, les demeurés, les idéalistes et les utopistes incorrigibles, et – pour faire bon poids – tous les persécutés de la terre, Jésus invite ce triste monde qui a connu tant de misères et d’échecs à bondir de joie comme des cabris, à la nouvelle de la récompense qu’ils recevront dans les Cieux.

Seule une grande nouvelle fait naître la joie. Cela peut être la surprise de la naissance d’un enfant longtemps espéré et attendu. Il y a bien des années, lors d’une réunion de famille à laquelle, encore adolescent, j’étais invité, il fallait dire au-revoir ou adieu à un cousin qui partait pour les colonies, comme on disait encore en ce temps-là. Le climat était lourd et l’ambiance n’était pas à la fête. Seule une femme, une sœur du partant, détonnait dans ce décor. Elle était rayonnante et n’avait de regard et de sourire que pour un bébé, son premier né. Il me semble le voir encore dans son berceau. Elle venait de le mettre au monde, sur le tard de ses années. Le contraste était saisissant. On disait adieu à quelqu’un, comme si on ne le verrait plus; elle, elle célébrait la vie.

La joie de Noël aussi prend ses racines dans l’événement d’une naissance. Tout le monde le sait. Mais, ce n’est pas d’abord notre joie ; en tout premier lieu, c’est celle qui habite le cœur de Dieu, le Père de cet enfant. Dans son style inimitable, Fernandel, contant la Légende des Santons de Provence, fait dire à l’archange qui la nuit de Noël souffle si fort dans sa trompette jusqu’à se faire éclater les veines du cou : « Cette nuit, le bon Dieu va devenir papa ! ». Vous imaginez sa joie. Beaucoup plus sobre et avec moins d’emphase et surtout moins d’accent, l’Evangile, qui n’a pas été écrit à Marseille, répète la même nouvelle : « Dieu nous a donné son Fils ».

Dans un monde terne, gris, accablé d’ennuis, de violences et parfois d’horreurs : voilà la joyeuse et bonne nouvelle de Noël : Dieu va devenir papa ! Et la prière qui introduit la liturgie de ce dimanche nous invite à partager la joie de ce Père comblé : « Dirige notre joie vers Ta joie ! ». Que la joie de Dieu soit donc la nôtre et celle de la terre entière.

Mais nous avons une raison supplémentaire de nous réjouir : cet enfant est aussi notre enfant. A peine né, son Père s’en défait et le met dans nos bras. Souvenez-vous de ce passage de l’Ecriture : « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils, son unique enfant ».

J’ai rencontré en Afrique un griot aveugle qu’un jeune homme conduisait au bout d’une perche. Pour une gourde de bière, on l’invitait dans les fêtes à chanter d’anciens poèmes du terroir. Il ne manquait jamais, quelle que fut l’atmosphère, d’exécuter en finale une de ses compositions personnelles. Il était question d’un père qui aimait à ce point les hommes jusqu’à leur livrer son propre fils. Le pauvre poète n’en revenait pas. Pour lui, une telle preuve d’amour était absolument inédite et inouïe. Elle valait bien une chanson.

Comment allons-nous passer les fêtes ? Beaucoup, lassés, indifférents ou désabusés ne fêteront rien du tout. Pour d’autres, ce sera un peu de répit dans la grisaille quotidienne, quelques cyclamens autour d’un lit d’hôpital, et, qui sait ? des vacances de neige. Ou alors, une bouffée de plaisirs, grappillés à quelque table mieux garnie que d’habitude. Tout cela est bel et bon et fait partie du décor. Mais une maison peut-elle tenir debout sans ses fondations, ses piliers et ses supports ? C’est la joie de Dieu qui est notre force ; c’est elle qui donne aux réjouissances de Noël leur vérité et leur profondeur. A nous chrétiens, qui avons reçu cette révélation, d’en vivre à profusion et de la rayonner. Si la joie de Dieu nous habite, le moment est venu de la partager. Largement et généreusement.

Et pourquoi ne pas en faire part aux musulmans qui habitent notre village, notre ville ou sur notre pallier ? Nous assistons ces jours dans notre pays à un débat stupéfiant. Les chrétiens devraient retirer des lieux publics tout le décor de Noël pour ne pas heurter la sensibilité religieuse des musulmans. Quelle aberration ! Au contraire, invitons-les à notre table ce jour de fête; qu’ils se réjouissent avec nous et avec nos enfants. Nous ne les blesserons pas. Bien au contraire. Eux aussi aiment nous inviter pour célébrer avec eux la fin du ramadan ou la naissance de leur prophète. Si on ne nous permet plus de partager avec d’autres notre joie, que nous restera-t-il à manifester ? La haine ? Le fanatisme ? Le racisme ? La violence ou la guerre ? Est-ce cela que l’on attend de nous ?

On entre dans la joie de Noël avec un cœur neuf, qui ne se laisse pas bercer pas des féeries aromatisées au vin chaud et à la cannelle. Nous attendons cet enfant comme une renaissance personnelle et collective. Serions-nous aussi vieux que Nicodème, aussi malade que la fille de Jaïre, aussi désespéré que Judas, ou torturé comme le larron sur sa croix; serions-nous aussi fourbe qu’Hérode et veule comme Pilate, le sourire de cet enfant que Dieu dépose dans nos bras nous régénère. Il nous donne de re-naître.

Dieu n’en finit donc pas de se réjouir. Non seulement au soir de Noël, à la naissance de son propre fils, mais tous les autres jours et toutes les autres nuits où il met au monde de nouveaux enfants.

 

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