Messe du 3e dimanche de Carême

 

Abbé Canisius Oberson, à léglise de Saint-Blaise (NE), le 11 mars 2007
Lectures bibliques : Exode 3, 1-15; 1 Corinthiens 10, 1-12; Luc 13, 1-19 – Année C

« Nous croyons, tout travail doit respecter la dignité humaine » : dans la suite de notre méditation de ce Carême 2007, l’évangile de ce jour relate deux faits divers qui feraient volontiers la une : un massacre de croyants qui priaient au temple, une tour en construction qui s’est effondrée sur des gens, et qui les a tués. On devine le choc ! Et, comme chaque fois dans des cas comme ceux-ci, surgissent les questions : pourquoi ? Pourquoi Dieu permet-il cela ? Les victimes auraient-elles mérité leur sort ? Dieu les aurait-il punies ?

Ce sont des questions semblables que l’on entend, ou qui rongent la pensée, par exemple, de ceux qui tombent tout à coup au chômage, de ceux qui effectuent sans fin des recherches d’emploi et qui reçoivent toujours la même réponse, quand il y en une : on n’a pas besoin de vous. Pire, le sentiment de culpabilité envahit souvent la conscience comme un chiendent, capable de tuer le dernier reste de confiance et d’estime de soi.

Et pour ceux qui nous écoutent et connaissent des problèmes de santé qui vous tombent dessus comme la tour de Siloé, les questions se bousculent aussi : pourquoi ? pourquoi moi ? « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? »

Il nous est bon aujourd’hui d’entendre Jésus récuser et s’opposer clairement à une image d’un Dieu qui punirait, qui serait la cause, ou seulement permettrait ces malheurs. Non, Dieu n’est pas ainsi. Il n’écrase pas, il ne punit pas. Il sauve, il est du côté de la vie. Aux yeux de Dieu, si donc vous êtes au chômage, si vous êtes malades, si un malheur s’est abattu sur vous sans que vous en trouviez la raison, inutile de mettre Dieu en cause, ni de penser que vous ne valez rien, que vous l’avez sûrement cherché d’une manière ou d’une autre, ni que vous avez perdu votre dignité ! Si vous avez perdu votre travail, ou craqué au travail parce qu’on vous en demandait toujours plus, penser que votre dignité humaine en serait amoindrie, pour Jésus, ce raisonnement ne tient pas ! N’en déplaise à ceux qui voudraient payer le prix minimal de la solidarité en laissant entendre que les pauvres le sont par leur faute !

Jésus poursuit son raisonnement. Après avoir disculpé Dieu et mis en cause le sentiment de culpabilité, il pointe le doigt sur ce que nous pouvons faire pour lutter avec lui et comme lui contre la puissance du mal. « Si vous ne vous convertissez pas, dit Jésus, vous périrez tous comme ces gens massacrés par Pilate, ou ces victimes de la chute de la tour de Siloé… »

Il faut bien sûr ici lever l’ambiguïté sur la conversion dont il s’agit. La conversion, elle est dans le fait de se tourner vers Dieu, et de croire que c’est de lui que nous recevons la vie, pour maintenant et pour l’éternité. Tournés vers Dieu, convertis à lui, nous nous rendons compte aussitôt qu’un système dans lequel les plus forts seuls ont une place, n’a rien d’évangélique. Rien d’évangélique, non plus, les écarts sociaux, les écarts de revenus qui se creusent, les salaires qui ne permettent pas une vie décente, le travail sur appel, la précarisation des travailleurs, la seule considération du revenu du capital, et j’en passe…
Tournés vers Dieu, nous voici appelés à prendre soin de nous, des autres, comme le vigneron qui prend soin du figuier même qui n’a plus donné de fruits depuis trois ans. Tournés vers Dieu, nous nous engageons dans un combat qui refuse de considérer que le faible, le chômeur, le travailleur non qualifié, aurait moins de valeur qu’une autre personne !

Comme le dit si bien le préambule de notre Constitution fédérale : « la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». Il s’agit donc de bêcher, de creuser autour du figuier, de lui donner de l’air, de l’humidité, pour qu’il vive. Il s’agit de changer de regard, autre expression pour dire la conversion : regarder le plus faible, non pas pour le fruit qu’il ne porte pas, mais pour lui-même, simplement du fait de son humanité, et lui offrir des conditions d’humanité qui lui permettent de vivre selon sa dignité et dans la confiance, et de porter un fruit d’humanité.

Se convertir, c’est voir le chômeur, le jeune qui peine à trouver sa place, la personne âgée, le malade, le prisonnier, l’étranger, non pas comme une charge économique, mais comme une présence qui appelle au partage et à la justice, en vue de construire une humanité de dignité et de communion, plutôt que de rivalité, de concurrence sans fin, et d’égoïsme ; reconnaître que l’autre a une dignité au-delà de tout calcul raisonnable, à l’image de ce musicien professionnel de La Chaux-de-Fonds qui fait chanter des personnes handicapées.

Et je conclus en citant Mgr Bernard Genoud dans la lettre pastorale qu’il adresse à ses diocésains ce dimanche : « Nous n’avons le droit de regretter des Mères Térésa, des Abbés Pierre et tant d’autres lumineux témoins du Christ et de son Église, que dans la mesure où dans ce pays qui accueille avec tant d’ouverture la fortune des autres, nous nous engageons à ne pas oublier l’infortune de ceux qui l’habitent, avec ou sans papiers. L’Abbé Pierre nous a appris qu’il n’y a pas besoin d’un quelconque permis pour résider en humanité… et que la charité et l’inaliénable dignité de la personne humaine sont les seuls papiers-valeur… d’un absolu ‘droit de séjour en Éternité’ ».
Amen.

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