Messe du 33ème dimanche ordinaire

 


Père Bernard Bonvin O.P., monastère des Dominicaines, Estavayer-le-Lac, le 18 novembre 2007
Lectures bibliques :
Malachie 3, 19-20; 2 Thessaloniciens 3, 7-12; Luc 21, 5-19 – Année C

Nous étions dans son atelier : l’ami peintre présentait quelques-unes de ses aquarelles. La lumière de novembre était douce. Tout était beau. Adrien me dit soudain :  « Je vous avais posé, il y a quelques temps, une question sur la fin du monde : vous m’avez promis d’y revenir … » La proposition m’a paru abrupte. Ce mardi là, tout en prolongeant la contemplation de ses beaux paysages, j’ai murmuré, en souriant : « Ces belles aquarelles ne vont-elles pas disparaître avec le reste ? » J’osais le dire, parce que la perspective paraissait lointaine. Pour l’heure, la belle campagne genevoise lavait mon regard et les aquarelles et l’amitié me comblaient.

Au retour, j’ai recherché l’évangile du dimanche suivant pour préparer une homélie. Hasard du calendrier, c’était celui que nous venons d’entendre. Au-delà du Temple d’Hérode au fronton plaqué d’or sur l’azur du ciel – il fut incendié le 30 août de l’année 70 après Jésus ‑ j’imaginais la place Saint-Pierre, avec la coupole de Michel-Ange et les colonnades du Bernin : « Des jours viendront, où il ne restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Mes sœurs, il en ira de même de l’église de ce monastère qui abrite plus de 7 siècles de prières et que nous aimons. Et de même de nos palais, de nos stades… Est-ce devenir prophète de malheur que de rappeler (après le poète) que les civilisations sont mortelles ?

Au 21e siècle, nous ressentons de l’inquiétude dans beaucoup de domaines : écologique avec les doutes sur la survie de la planète ; économique avec le déséquilibre criant dans la répartition des richesses ; religieux même avec les violences qui s’y autorisent. Que dit cet évangile de toutes ces sources d’inquiétude ?
Lorsque Luc écrit, vers les années 80, la bourrasque s’est déjà levée : Jérusalem est partiellement rasée ; les chrétiens sont en butte à l’hostilité sinon la persécution. A leur intention, Luc met en évidence des paroles de Jésus qui prolongent les avertissements de prophètes comme Jérémie. Celui-ci n’envisageait la destruction du Temple que pour nous prémunir du danger qu’il y aurait de nous y enfermer comme dans un ghetto. La foi n’est rivée ni à des structures sociales, ni même à un sanctuaire, si vénérable soit-il.

L’évangile ose regarder en face les causes d’inquiétude parce qu’il distingue la fin du monde de celle de Jérusalem et de nos petits mondes à nous. Des imposteurs ne cessent de prétendre : Le temps est proche ! Autrement dit, c’est la fin de tout. Luc rectifie : Ce ne sera pas de sitôt la fin. Dans la parabole des vignerons, il relève que le maître est parti pour longtemps (Lc 19, 11). Une longue période sépare donc la chute de Jérusalem de la fin du monde, nos guerres, attentats terroristes et tsunamis, de la venue du Fils de l’Homme. Par sa parabole des talents, Luc invite à porter du fruit là où nous sommes. C’est sagesse de croire que ce temps-ci est bon pour veiller et oeuvrer au Royaume de Dieu. Aidons-nous mutuellement à y croire.

L’évangile n’édulcore pas notre présent : il n’occulte pas catastrophes cosmiques, violences, maux de l’histoire et persécutions : mais d’images flamboyantes comme les étoiles qui chavirent, les montagnes qui frissonnent d’angoisse, il tire des conclusions inattendues : « Quand vous entendrez parler de guerres et de soulèvements, ne vous effrayez pas : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin. » Il ajoute un avertissement et une promesse. Puisque le monde appartient au créateur et que nous ne sommes que des gérants, grâce à Dieu, après le passage de l’ouragan, la paix du Christ se lèvera sur un monde nouveau pour la joie du Père et la nôtre : voilà pour l’avenir. L’avertissement pour le présent pourrait s’actualiser ainsi : « Le grand jour arrivera : son calendrier ne vous appartient pas. Le temple peut être détruit, et même si tout semblait s’effondrer, rien ne serait fini. Croyez que Dieu a pour ce monde un projet de salut : Il ne se perdra pas un cheveu de votre tête. Cette image extravagante ‑ compter les cheveux ‑ suggère que Dieu fait ce que ne peut ni une maman pour son enfant ni une épouse pour  son époux.
Mais est-ce vraiment de notre chevelure qu’il s’agit ? Ne s’agit-il pas plutôt de nos personnes et du sens profond de nos vies ? Autrement dit, qu’est-ce qui, dans nos vies, compte assez aux yeux de Dieu pour être éternisé ? Qu’est-ce qui compte assez à mes yeux pour que je souhaite le garder pour toujours, toujours ?

Nos moments assez pléniers pour les désirer éternels ne relèvent pas de l’avoir, de choses possédées, argents, diamants, aquarelles : ou pouvoir, succès sportifs ou séduction ! Nos vraies joies sont de l’ordre de l’amour, de la générosité, du don mutuel et elles transfigurent nos vies. Une aquarelle n’a de prix que par la beauté, la poésie, l’amour de la création dont elle rayonne parfois.

Les lectures de ce dimanche véhiculent cette bonne nouvelle : selon Malachie, le jour où le temps basculera dans l’éternité sera Jour brûlant comme un four. La paille de l’arrogance s’embrasera au point qu’il ne lui restera ni racine ni rameau. Mais, ajoute le prophète, pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice brillera, avec la guérison dans ses rayons. 1350 ans avant Jésus, un pharaon aimait représenter son Dieu bien-aimé sous les traits du disque solaire, dont tous les rayons se terminaient par des mains, pour signifier l’universelle bienfaisance de Dieu.

Prenons garde à ne pas nous laisser séduire ou plutôt terroriser par les prophètes de malheur ; ni à gémir sur les cataclysmes de notre temps. Pleurons certes par compassion pour les victimes. Mais aucun cheveu de votre tête ne sera perdu ! Le Seigneur, soleil de justice, se lèvera après la nuit et illuminera le monde entier. Le feu divin – le jugement du Fils de l’Homme ‑ est là pour nous réchauffer et nous purifier. Voilà ce que garantit la Parole Dieu. Qu’il soit béni !

 

 

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