Abbé Jean-Jacques Martin, église St-Etienne, Colombier, NE, le 28 octobre 2007 Lectures bibliques : Ecclésiastique 35, 12-18; 2 Timothée 4, 6-18: Luc 18, 9-14 – Année C |
Chers amis,
Ce jour-là voilà que deux hommes montent au temple.
Tous les deux ont une préoccupation commune : ils vont prier !
Tous les deux font une démarche semblable, tous les deux vont se retrouver dans le même lieu.
Et pourtant, comme vous avez pu le constater toutes et tous à l’écoute de cet évangile, ils sont loin l’un de l’autre.
Une distance importante les sépare.
Le pharisien semble être comme chez lui dans le temple, comme il se sent chez lui dans sa banque. Il a de la prestance. Son compte est normalement bien garni, il devrait être en ordre, ainsi il n’a presque rien à craindre de l’avenir. Et puis aussi, il jeûne et il met quelque chose à la quête. Alors qu’espérer de mieux puisque tout est en ordre.
L’autre, le publicain, se tient au contraire à une certaine distance. Le publicain, vous savez, c’est celui qui est vendu au pouvoir ; aujourd’hui on dirait que les pots-de-vin sont monnaie courante pour lui ; et les dessous de table, n’en parlons pas ! Alors il n’a pas trop le courage de lever les yeux, il se frappe la poitrine en se reconnaissant pécheur.
Et pour nous, aujourd’hui ?
J’ose espérer que vous n’êtes pas comme moi !… car, à la lecture de cet évangile, je me suis dit : oh, il y en a qui en prenne pour leur grade ! Une fois de plus Jésus vise juste, j’espère que celles et ceux qui sont concernés vont réfléchir.
Oui, heureusement que vous n’êtes pas comme moi, chers amis et chers auditeurs…
Par contre, je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que chacun d’entre nous porte au plus profond de lui-même un projet humaniste de refonte du monde. Nous souhaitons vivement que s’établisse la justice, que la fraternité soit vivante, que jaillisse la paix, que le partage soit une réalité quotidienne efficace.
Alors pour parvenir à cela nous faisons appel de tous nos vœux à des changements de société… pour autant que les autres changent. C’est à mon voisin de tenter de faire justice, c’est naturellement aux riches de partager, c’est aux personnes malveillantes et médisantes d’ouvrir leur cœur à la paix !
Et puis, bien entendu, nous ne sommes finalement responsables en rien des malheurs du monde. Nous qui avons si peu de pouvoir pour faire changer quelque chose, nous n’en voulons à personne. Nous ne sommes pas racistes quand même, nous ne déclarons la guerre à personne et puis, en plus, nous versons de temps en temps quelque chose pour une organisation humanitaire et pour notre paroisse…
Bref, nous sommes, eh oui, comme le bon pharisien !
En même temps, tout au fond de notre conscience, il y a une petite voix qui s’agite. Sommes-nous fiers de notre comportement, de nos idées, de nos désirs ? Et il nous arrive même de penser que, malgré le peu que nous possédons, cela représente quand même une fortune pour celles et ceux qui n’ont plus rien.
Ainsi nous associons en notre personne tous les signes extérieurs qui révèlent la propension à nous croire meilleurs que les autres. Et aussi quelques sentiments intérieurs qui nous amènent à nous reconnaître pécheurs.
Nous sommes à la fois publicain et pharisien !
Nous le savons toutes et tous bien, lorsque nous voulons rencontrer Dieu, « notre effort doit consister, comme pour toute rencontre d’ailleurs, à nous déposséder de nous-mêmes, à consentir à notre pauvreté si réelle, afin de nous rendre accueillants à la venue et à la Parole de Dieu et des autres ». (Louis Sintas).
Lorsque nous consentons à notre pauvreté, Jésus vient poser sur nous l’image d’un Dieu, je dirais, séduisant mais qui met en question le fragile équilibre de nos vies, car il est lui, ne l’oublions pas, car il est lui, le créateur de nouvelle vie : c’est lui qui régénère, c’est lui qui nous ouvre à de nouveaux commencements, c’est qui vient débloquer tout ce qu’il y a de coincé en nous, c’est lui qui frappe à nos portes, c’est lui qui vient à nous plein de tendresse et d’amour. Il le fait car il est le Sauveur. Ainsi la foi, celle que nous allons exprimer tout à l’heure, c’est reconnaître la présence de ce Sauveur, c’est nous souvenir que l’amour est la vraie nourriture du cœur humain ; qu’il ne faut pas juger si importante l’admiration des autres (ou de nous-mêmes !) ; être aimé vaut mieux que d’être respecté ; la foi, c’est s’enraciner dans la puissance même de Dieu où toute vie prend racine.
Alors, le pharisien et le publicain : une parabole qui nous rappelle que c’est Dieu qui nous rend justes.
Une parabole qui nous pose aujourd’hui deux questions : par rapport à celui ou celle que nous étions il y a quelques années, quelques mois, sommes-nous plus heureux, plus libres, plus croyants, plus vivants ?
Le publicain sera élevé dit Jésus.
Le pharisien sera abaissé poursuit Jésus.
« C’est que le « prends pitié » du publicain est un cri qui ouvre l’écart entre sa vie morte et la mort de Jésus qui fait vivre. C’est par cette distance que passe la chance de vivre » (Jean Debruynne).
Je vous le disais il y a quelques minutes, c’est une distance importante qui sépare le publicain du pharisien.
C’est par cette distance que passe la chance de vivre.
Amen.