Messe du 29e dimanche ordinaire

 

Abbé Henri Roduit, à l’église de Monthey, VS, le 20 octobre 2002.

Lectures bibliques : Isaïe 45, 1-6; Thessaloniciens 1, 1-5; Matthieu 22, 15-21

Chers auditeurs, spécialement chers malades et chers paroissiens,

J’aimerais commencer cette homélie par une très belle histoire des pères du désert, que je vous redis de mémoire. Un moine demanda à son supérieur pourquoi beaucoup commençaient la vie de moine mais que peu allaient jusqu’au bout. Le supérieur répondit : « Il en va comme du lièvre et des chiens. Quand un chien lève un lièvre. Tous les chiens qui voient courir le chien se mettent à courir à leur tour mais après un certain temps tous arrêtent leur course, sauf ceux qui voient le lièvre. Eux continuent de le poursuivre. »

Cette histoire peut nous aider à entrer dans l’évangile de ce jour. Pour pouvoir suivre Jésus dans sa démarche, pour pouvoir rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Il faut avoir les yeux fixés sur lui. Seuls ceux qui le « voient » au sens de voir dans la foi, sont capables de continuer leur course à la suite de Jésus. Les autres ont tôt fait de trouver inutile de poursuivre l’effort et vont retourner tranquillement aux anciennes habitudes.

Dans l’évangile de ce jour les pharisiens et les partisans d’Hérode posent à Jésus une question des plus minées de l’époque : Faut-il comme juif, payer l’impôt personnel à l’empire romain ? Les pharisiens trouvent intolérable de payer un impôt, donc de faire allégeance à l’empereur romain, l’occupant qui demandait même qu’on le reconnaisse comme un dieu et qu’on lui rende un culte. Les partisans d’Hérode eux trouvent qu’il faut s’en accommoder, car finalement ça n’a rien à voir avec Dieu, avec la foi juive. Jésus répond : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

« Rendez à César ce qui est à César ». Au dos de la pièce de monnaie à l’époque de Jésus en Palestine, il y a l’effigie de l’empereur, la dernière référence ou la référence absolue, le garant du système et de l’économie. Pas difficile à voir, il suffit de tourner la pièce.

Mais, pour Jésus, au dos de l’ensemble de l’humanité, il y a Dieu. L’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, à son effigie.

Et Jésus rajoute : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». Une certaine autonomie de la pièce de monnaie, de l’économie, de la société, existe, mais elle n’est jamais absolue. Il y a toujours à remettre dans un contexte plus global, à resituer tout ce qui se passe dans ce monde par rapport à Dieu lui-même. Si l’empereur est le garant de l’économie, Dieu est le garant de l’homme, de sa dignité qui dépasse toute utilisation purement économique ou politique.

Mais comment prendre assez de distance par rapport aux intérêts du monde pour pouvoir s’élever en spiritualité jusqu’à voir en chaque homme l’effigie de Dieu ? Comment pouvoir continuer de la reconnaître en soi-même quand la faiblesse ou le péché, la culpabilité ou le désespoir sont là ? Comment la reconnaître dans les êtres les plus blessés qui n’ont même plus apparence humaine : ceux que les hommes ont rejetés, ceux que la maladie a torturés, ceux que le péché ou le désespoir ont défigurés ?

La réponse est certainement la même que dans l’histoire du lièvre et des chiens. Il s’agit de fixer les yeux sur Jésus, de le suivre à la trace. Quand la femme prise en flagrant délit d’adultère est amenée devant lui pour savoir s’il faut la lapider, Jésus se solidarise avec elle au point de regarder vers le sol, comme elle. Il amène chacun à une prise de conscience de son propre péché : Que celui qui n’a pas péché lui lance la première pierre. Et finalement avec un regard qui redonne la dignité, parce qu’il sait voir dans cette femme une effigie de Dieu, il lui dit : Va. Et ne pêche plus.

Quand Jésus croise Pierre après son reniement il pose sur lui un regard chargé de tant de pardon, d’amour, de reconnaissance de sa grandeur de pécheur pardonné que Pierre en est tout transformé.

Quand il rencontre l’étranger que l’on rejette, le pauvre, le malade, le marginal, chaque fois Jésus sait voir en lui la dignité de fils de Dieu. Il se solidarise à lui au point de courir des risques énormes et même un jour de perdre sa propre vie.

En ce dimanche de la mission universelle, nous sommes invités à faire le même choix que Jésus : défendre la dignité de l’homme quoi qu’il en coûte.

– Dans un monde où les règles du profit mondialisé aboutit chaque jour à la mort de plus d’enfants qu’il n’y a eu de morts dans la chute des tours de New York,

– dans une Europe où la vie de l’homme est menacée aussi bien au début qu’à sa fin

– dans une Suisse toujours plus tentée de se refermer sur ses privilèges matériels,

– dans un canton où l’application des mesures de contrainte pose beaucoup de problème de conscience,

qui rendra la dignité à l’homme bafoué en toute impunité? Qui osera redire les limites de l’économie, du politique, de l’organisation religieuse pour que la dignité de chacun soit respectée, que l’effigie de Dieu ne soit pas méprisée, violentée, violée, détruite ?

Comme pour les chiens de l’histoire, seuls les chrétiens qui gardent les yeux fixés sur Jésus trouveront l’énergie de poursuivre ce combat en proclamant leur foi par la parole et par leur témoignage de vie au côté des humiliés, en collaborant avec ceux qui, ici, mènent le combat pour la justice et la solidarité, et aussi en soutenant les missionnaires qui annoncent cette bonne nouvelle dans le monde entier parfois au risque de leur vie.

Le pape en ce dimanche de la mission universelle demande à son Eglise : « la capacité de se faire proche, d’être solidaire de ceux qui souffrent, de manière à ce que le geste d’aide soit ressenti non comme une aumône humiliante, mais comme un partage fraternel ».

Pour réaliser ce souhait du pape, nous demandons l’aide de Dieu avec les mots de Raoul Follereau : « Seigneur, apprends-nous à penser aux autres, à aimer en premier lieu ceux que personne n’aime. Fais-nous souffrir de la souffrance des autres… Ne permets plus, Seigneur, que nous vivions heureux tout seuls. Fais-nous ressentir l’angoisse de la misère universelle et délivre-nous de nous-mêmes. »

 

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