Chanoine Guy Luisier, à l’abbaye de Saint-Maurice, le 9 octobre 2005 Lectures bibliques : Isaïe 25, 6-9; Philippiens 4, 12-20 ; Matthieu 22, 1-14 – Année A |
Mes sœurs, mes frères,
« Comment faut-il que je m’habille aujourd’hui ? »
Qui d’entre nous ne s’est pas demandé ce matin : « Quel vêtement dois-je mettre ? » Sans être particulièrement coquets, nous nous posons tous ce genre de questions, le matin et en fonction de nos activités et rencontres de la journée.
Savoir se vêtir est un art. C’est le signe d’un art de vivre, d’un certain degré de civilité, de respect, mais aussi d’enthousiasme pour l’existence. De façon plus large, le vêtement peut traduire quelque chose de l’état d’une civilisation, de l’état de santé d’une société.
Le vêtement – quel qu’il soit – parle, plus clairement que bien d’autres réalités. Le vêtement livre un message. Il parle quelquefois plus fort que ce qui sort de la bouche. On le voit qui braille, ou livre de douces confidences ; il se met à chanter, à pleurer ou à rire. Le vêtement proclame le respect de l’autre, la solidarité, il dit aussi le mal-être, la révolte, le désarroi… Le vêtement crie fort parfois, jusqu’à agresser.
Pourquoi vous dire cela ? Parce que je pense que le vêtement est aussi une réalité théologique. Il dit quelque chose de Dieu et de l’homme, et de leurs rapports, dans la mesure où nous admettons qu’on ne s’habille pas seulement le corps mais aussi l’âme, et de diverses manières.
Regardons ce qui se passe dans l’évangile d’aujourd’hui : Le Roi, qui célébrait les noces de son fils, entra dans la salle de banquet pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noces et lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir le vêtement de noces ?
Le vêtement de noces, qu’est-ce que c’est encore que cette histoire?… On comprend assez clairement que le Roi c’est Dieu et qu’il invite les hommes aux noces de son Fils qui se célèbrent éternellement au ciel comme sur la terre. On comprend bien que nous y sommes tous invités – continuellement et éternellement -, autant les boiteux que les riches, autant les estropiés que les bien portants, autant les sages que les tout-petits. Tous à la noce : voilà qui est très réconfortant et qui livre un message positif au milieu de nos réalités plus moroses. Cela nous plaît bien, mais pourquoi donc achopper à ce problème de vêtement ? Comment faut-il s’habiller pour être de cette noce éternelle ? Comment donc était-il habillé, cet homme de l’évangile pour être épinglé par le roi de cette façon ?
L’Evangile ne nous livre pas une réponse toute faite. C’est à nous de creuser. Mon hypothèse est qu’il était trop habillé. Oui trop habillé.
En effet il me semble qu’entre le corps et l’âme, il y a un schéma d’habillage tout à fait inverse. Alors que – idéalement – l’homme s’attache à habiller correctement son corps pour livrer un message vrai à ceux qui le rencontrent, il doit en même temps s’attacher à déshabiller progressivement et correctement son âme pour la rendre aussi dépouillée et transparente que possible à l’action et à la vie de Dieu.
Il y a comme un effet de miroir. S’habiller sainement le corps c’est le respecter, se dépouiller l’âme c’est la respecter dans son essence qui vise à la transparence vis-à-vis de son Créateur.
Il vaut la peine d’approfondir ceci, pour voir ce que cela implique pour la vie et l’être de chacun d’entre nous, et puis d’en tirer des conclusions sur les rapports complexes que notre société –un peu essoufflée pour ne pas dire perturbée – entretient avec le vêtement.
Car ce dont il s’agit ici en premier lieu et qui devrait être à la base des soucis humains, c’est le vêtement de l’âme. C’est ce que voit surtout le Roi. A partir d’une réflexion sur le vêtement de l’âme, on peut en tirer des leçons plus profondes et subtiles sur les liens entre la façon d’habiller son corps (temple de l’Esprit), de vêtir son âme (promise aux noces du Fils unique). Tous les deux appelés à être transfigurés en Dieu, l’âme (notre principe de vie intérieure) et le corps (notre être matériel tourné vers l’extérieur) avancent dans l’existence de façon différente.
Le corps évolue dans la mesure où il est protégé, l’âme évolue dans la mesure où au contraire elle se dépouille, ou elle s’affine et devient de plus en plus transparente, de plus en plus sensible, de plus en plus compatissante et empathique, de plus en plus aiguisée à sentir sainement et saintement ce qui vient au-devant elle.
Nous connaissons tous des êtres que la vie a poli et qui ont acquis par le dépouillement une certaine transparence de l’être et du regard jusqu’à l’intérieur. L’âme se fortifie donc en se laissant sainement purifier de cette gangue d’habits futiles et dérisoires dont on se sent obligé de l’affubler et qui ne fait que l’affaiblir.
Tout en finesse et respect, déshabillons notre âme c’est comme cela que nous la fortifierons.
Elargissons le débat pour une réflexion moins individuelle mais plus sociale. Sans faire de moralisme lourd et grognon, il faut avouer que notre société en perte de repère clair par rapport à la dynamique humaine de l’âme et du corps arrive à des impasses tragiques.
On déshabille le corps, on avilit le vêtement, on lui enlève sa capacité d’expression simple et saine. Il a tendance à ne parler que pour bêler à travers la mode ou à brailler dans le provocateur ou le négligé. Derrière cela il y a surtout un malaise avec l’âme que l’on habille trop et trop lourdement, que l’on cache sous des grimages et des habillages factices qui l’étouffent alors qu’il faut la faire respirer. Plus une personne exhibe de façon malsaine son corps, plus elle se sent obligée de cacher son âme derrière un attirail désolant, et la dynamique d’une être fait pour la transparence s’enfonce dans l’opaque.
Lorsque le Roi est entré dans la salle des noces. Il a vu un homme dont l’âme était trop déguisée, trop fardée, mal fagotée par un accoutrement excessif. « Mon ami, pourquoi n’as-tu pas le vêtement de noces ? »
Aux noces du Sauveur, le bon ton est à la transparence de l’âme qu’une bonne tenue du corps vient sainement et saintement accompagner.
Amen.