Messe du 27ème dimanche ordinaire

 

Abbé Jean-René Fracheboud, église de Collombey, VS, le 6 octobre 2007
Lectures bibliques :
Habacuc 1, 2-3; 2, 2-4; 2 Timothée 1, 6-14; Luc 17, 5-10 – Année C

 

Chers Amis,

 

CROYANT, incroyant, peu croyant, mal croyant, agnostique,
voilà des mots, parfois des étiquettes qui désignent la relation de l’homme à Dieu.
Beaucoup de sondages et d’enquêtes sociologiques utilisent volontiers ces diverses catégories.
Peut-on enfermer dans des cloisons aussi étanches des réalités qui touchent ce qu’il y a de plus profond en chacun, chacune de nous, qui rejoignent le mystère de la vie, le mystère de la relation, le mystère de l’être et de l’amour ?
Dans l’Evangile, on ne s’intéresse guère à des classements, on s’intéresse à des personnes en ce qu’elles sont, en ce qu’elles portent de beau et de grand, en ce qu’elles peuvent devenir. La question des apôtres de Jésus, aujourd’hui, rejoint bien cette dynamique : « Augmente en nous la foi ».

Qu’est-ce que ça veut dire CROIRE ?
Qu’est-ce que ça veut dire être croyant, avoir la foi, désirer grandir dans la foi ?
Dans le paysage actuel de la modernité, cette question mérite attention et approfondissement. On ne peut pas croire n’importe quoi et n’importe comment. Mettre le Christ en priorité dans sa vie, vivre de ses paroles et le suivre dans sa pâque suppose une manière d’être, un choix et un engagement authentique. Avec Lui, en Lui, il s’agit de devenir un « croyant croyable ».

Dans cette perspective, les 3 textes de la liturgie d’aujourd’hui nous offre, me semble-t-il, 3 balises intéressantes.

Premièrement, la foi a quelque chose à voir avec le REGARD, c’est une manière de regarder, la vie, les événements, les rencontres, les joies, les peines etc…
C’est un regard qui est appelé à dépasser les apparences pour plonger dans la profondeur. Si l’on reste à la superficie, à la surface des choses et des événements, on a souvent le sentiment que le monde obéit à des forces aveugles.

On en a une belle expression dans la 1ère lecture, le livre d’Habacuc : « Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas,  crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère.  Devant moi, pillages et violences, disputes et discordes se déchaînent. »

Expression de toujours du  » mal-être » de l’homme devant le déferlement des forces du mal et de l’angoisse qu’il fait naître. Expression de toujours du sentiment de l’absence ou de l’impuissance de Dieu en de pareilles circonstances. Mais, c’est justement là, l’endroit d’un enjeu, d’une plongée dans la profondeur pour accueillir une parole de révélation :
« Alors, le Seigneur me répondit : « Tu vas me mettre par écrit la vision
bien clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment.
Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé,
elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas.  » »

En réalité, le monde n’obéit pas à des forces aveugles, le monde est traversé et travaillé à l’intérieur par un immense projet d’amour, celui que le Christ est venu dévoiler et réaliser par sa mort et sa résurrection. Au temps fixé, l’amour, la bonté, la justice et la paix triompheront. Le regard de la foi consiste à dépasser en permanence les impressions pour rejoindre ce fil rouge du salut qui sous-tend l’histoire.

Pas de foi possible, pas de foi croyable sans ce travail permanent du regard qui rejoint l’au-dedans des choses et des êtres. L’approfondissement et la conversion du regard sont au cœur de l’expérience de la foi et de la vie du croyant.

2ème balise : ce regard converti me permet de découvrir l’immensité d’un DON, d’un TRESOR déposé là, au fond du fond du cœur. Là, nous rejoignons la 2ème lecture, celle de Paul à son ami Timothée : « Fils bien-aimé, je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison. »

Le monde, et plus directement encore nos vies humaines portent l’empreinte d’un AMOUR, l’emprise d’une tendresse qui nous marquent à tout jamais et qui nous orientent vers une destinée de lumière. C’est le sceau de Dieu inscrit dans la profondeur de notre être. Nous sommes les tout-aimés du tout AMOUR, mystère de pure gratuité. Cette réalité inaliénable est en attente de reconnaissance. Pour nous chrétiens, cette marque a pris couleur sacramentelle par la réalité de nos baptêmes. La vie chrétienne est moins un « savoir-faire » qu’un « laisser être ».
Ce DON, ce SCEAU, cette inscription, c’est Dieu lui-même agissant en nous, c’est son Esprit à l’œuvre en nos cœurs. C’est ce que disait encore Paul à Timothée :
« Tu es le dépositaire de l’Evangile, garde-le dans toute sa pureté grâce à l’Esprit Saint qui habite en nous. »
Devenir croyant croyable, c’est savoir que la fécondité de la vie ne vient pas d’abord de nos efforts et de nos compétences – même s’ils ne sont pas négligeables – mais vient de l’action de l’Esprit en nous. Il s’agira toujours de laisser Dieu être Dieu en nous, difficile travail de lâcher-prise et d’abandon confiant et lucide.

3ème balise : l’expérience de la foi conjugue l’extraordinaire et l’ordinaire ;
l’ EXTRAORDINAIRE d’une puissance d’amour et de transformation du monde et l’ ORDINAIRE d’une vie de service humble, fidèle, patient.

Celui qui croit vraiment fait l’expérience de quelque chose d’extraordinaire, c’est de l’ordre de dire à cet arbre « Déracine-toi et va te planter dans la mer », et cela avec une foi grosse comme une graine de moutarde, la plus petite des graines. Même le Christ n’a jamais fait cela : « Dire à un arbre, va te planter dans la mer », mais cet extraordinaire, il l’a réalisé à chaque rencontre, en ouvrant un avenir aux paralysés de la vie, en faisant voir des aveugles, en faisant marcher des paralysés, en ouvrant chacun aux ressources d’amour, de pardon et d’espérance qu’il portait en lui.
C’est le même extraordinaire déploiement des forces de résurrection que le Seigneur nous offre pour que nous le vivions intensément et que nous le partagions à l’humanité d’aujourd’hui. Mais cet extraordinaire Don de Dieu qui nous fait vivre debout, nous le vivons et nous le portons dans l’ordinaire du quotidien, dans l’humilité du service de nos frères et sœurs.
Nous ne serons jamais propriétaire du don de Dieu, il ne nous donne pas des droits sur Lui.
C’est de cette manière que nous comprenons l’expression intraduisible : « Nous sommes des serviteurs quelconques ou inutiles, nous n’avons fait que notre devoir. » Ni quelconque, ni inutile, mais serviteur qui garde au cœur la conscience éblouie du don reçu et la noblesse de participer à cette aventure.

Une fois de plus, en ce dimanche d’automne, le Seigneur nous invite à prendre au sérieux l’aventure de la foi : devenir avec Lui, en Lui, des croyants croyables. Il nous en trace les contours : il ne s’agit pas de faire des choses exceptionnelles, mais il rend possible la vie avec ses fractures, ses insuffisances, ses pauvretés, ses limites…
Pour cela, il faut que mon REGARD change, toujours plus, toujours plus profondément
il faut que le DON immense de Dieu m’habite et devienne ma respiration,
il faut que l’ EXTRAORDINAIRE de la foi passe dans l’ordinaire de mon paysage quotidien.
Je crois qu’avec la grâce de Dieu, avec le meilleur de moi-même
et l’appui d’une communauté, l’incroyant en moi, le peu croyant en moi,
le mal croyant en moi peuvent progresser et cheminer vers le croyant croyable.

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