Messe du 23ème dimanche ordinaire

 


Abbé Marc-Louis Passera, le 7 septembre 2008, à l’église de Belfaux, FR
Lectures bibliques :
Ezéchiel 33,7-9 ; Romains 13,8-10 ; Matthieu 18,15-20 – Année A

Dans la liturgie byzantine, il est un moment que je vis chaque fois avec une grande émotion. Après avoir amené le pain et le vin et avoir présenté au Seigneur notre prière pour la création toute entière on échange le geste de paix en se disant : « le Christ est au milieu de nous ». Quelque chose se passe alors qui semble casser la solennité de la liturgie, mais qui en fait lui donne toute sa respiration. De manière très chaleureuse et profondément humaine – à l’orientale – on se tourne les uns vers les autres, on se donne le baiser de paix et l’on perçoit avec force que le mystère de l’Eucharistie c’est là, au milieu de nous, qu’il est en train de se réaliser. Et quand on se retrouve en dehors de la liturgie, il nous arrive de refaire le même geste, parce que c’est le même mystère de sa présence que nous sommes appelés à vivre dans toutes les situations de la vie. Saint Augustin en est témoin: « L’Eucharistie nous est donnée, pour que nous devenions ce que nous avons reçu ». « Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux » (Mt 18,20). Nous qui nous sommes rassemblés dans cette église ou qui participons à cette Eeucharistie par la magie des ondes, ensemble nous le savons bien, le Seigneur est au milieu de nous.

Mais il est des moments où sa présence se fait sentir avec une force toute particulière. Il y a une année jour pour jour, j’avais le bonheur à Sibiu en Roumanie, de participer au rassemblement des églises européennes (dans l’élan des rassemblements de Bâle et de Graz). J’y étais allé avec une certaine retenue, pensant que je n’y avais pas vraiment ma place. J’y ai vécu des journées d’une rare intensité. Des rencontres inattendues, la découverte de réalités ecclésiales que j’ignorais complètement, des temps de prière vécus dans une communion profonde, un climat où une fraternité vraie était perceptible.

Je repense à ce groupe de luthériens norvégiens tellement sensibles à l’écologie. Je revois le visage d’un pasteur hongrois avec qui, dans un anglais douteux, nous avons partagé nos inquiétudes face à une société qui produit sans cesse de nouveaux pauvres. J’entends encore les questions de ces croyants tout simples exprimant leur difficulté à se situer dans notre modernité sans rien trahir de leur foi. Et ce théologien orthodoxe croisé autrefois à Fribourg, au cours de ses études, et qui me disait combien son séjour chez nous lui avait été précieux. Et ces couples mixtes, avec René Beaupère, soucieux de nous partager leur espérance. Et toutes ces réalités d’église présentes dans le monde de l’émigration. Et ces jeunes de Sibiu me montrant les photos du lieu d’accueil pour enfants qu’ils étaient en train de réaliser dans les locaux de leur paroisse. Et l’enthousiasme d’Andrea Riccardi et le bon sens spirituel d’Enzo Bianchi et la discrétion des frères de Taizé pourtant si présents et la chaleur du métropolite Laurentiu et des évêques orthodoxes et gréco-catholiques tellement heureux d’être ensemble. Et combien d’autres visages, combien d’autres réalités que nous avons partagées… 
Bref, en un mot nous nous sommes parlé dans le sens fort, le sens biblique de l’expression. Et nous l’avons fait « en son nom ». C’est pour cela- j’en suis persuadé – que nous l’avons si bien perçu présent au milieu de nous.

Se parler, mais aussi s’écouter, entrer dans un dialogue vrai, un dialogue de communion, et puis, s’adresser à Dieu de manière « symphonique » parce que l’on « se met d’accord et que l’on se fait entendre ensemble » (Mt 18,19), c’est bien ce à quoi nous invite la Parole de Dieu ce dimanche. Certes, il y est question de péché et de correction fraternelle, parce que telle est notre réalité et que nous devons y faire face. Mais ne s’agit-il pas au fond d’une invitation à être responsables les uns des autres, à « porter les poids les uns des autres » (Gal 6,2) ?

Entre chrétiens, nous dire les choses, dans la transparence et la confiance, nous permet d’entrer dans une fidélité plus grande à l’appel du Seigneur.
A Sibiu nous avons posé ensemble notre regard sur l’Europe, nous y avons saisi toute sortes de défis, nous nous sommes rendus attentifs aux réalités de notre temps et nous avons pris au sérieux les appels que Dieu nous adresse aujourd’hui et desquels ils nous demande de nous faire l’écho là où nous sommes. « Ce que vous aurez lié sur la terre… » (Mt 18,18). Il y a des choix à faire, des décisions à prendre, des engagements à assumer : le Seigneur compte sur nous. Et nous savons qu’il s’engage avec nous…
J’ai encore dans l’oreille les paroles enthousiastes du Cardinal Kasper : « Une religiosité vague, insipide, ne nous mènera nulle part (…) Ce qu’il nous faut, c’est la nourriture solide d’une foi engagée et vécue ».

Que reste-t-il de l’esprit de Sibiu, une année après ? A Sibiu, le pasteur Jean-Arnold de Clermont nous avait dit : « C’est du courage qu’il nous faut ! Le courage de regarder en face nos blocages et nos divisions (…). Il nous faut trouver le courage de nous le dire les uns aux autres, pour trouver ensemble le chemin du repentir et accueillir l’Esprit de Dieu qui nous conduira en nouveauté de vie » Puis il avait ajouté : « Toutefois, rien ne serait pire que d’établir ensemble un long catalogue de nos blocages et de nos divisions, si en face, à chaque fois, nous n’étions pas en mesure de dire à quoi nous nous engageons ».

Le chemin qui mène vers l’unité passe inévitablement pour les chrétiens par l’audace de la conversion et le risque assumé de l’engagement. Sur ce chemin, la correction fraternelle nous est indispensable. Chaque fois que la rencontre entre les églises apparaît plus difficile, chaque fois que le dialogue théologique entre les diverses confessions chrétiennes devient plus ardu, j’y perçois une invitation nouvelle à la conversion.
Bien sûr les autorités des églises ont un rôle particulier à jouer, elle ne peuvent pas ne pas entendre la prière que Jésus adresse avec insistance au Père en même temps qu’ils nous la confie : « que tous soient un » (Jn 17,11.21.22.23) Bien sûr on attend des théologiens qu’ils nous accompagnent dans une relecture de notre histoire chrétienne et qu’ils nous aident à dire la foi aujourd’hui. Bien sûr, par leur engagement, les moines et les moniales, les religieuses et le religieux et tous ceux qui suivent le Christ de plus près sont appelés à être signe non seulement dans le monde mais aussi dans l’église.
Mais sur le chemin qui mène à la pleine communion, chacun de nous a sa place, chacune de nos paroisses, de nos communautés, de nos mouvements d’église. Et je ne veux pas oublier la fécondité mystérieuse qui nous vient de ceux qui souffrent.

Pour ma part, je ne sais pas si la grâce me sera donnée à nouveau de participer à un rassemblement comme celui de Sibiu. Mais ce que je sais, c’est que là où je suis, le Seigneur m’attend et m’appelle. Que reste-t-il alors de l’esprit de Sibiu ? J’espère, pour notre Europe, un élan sans cesse renouvelé. Mais aussi, pour moi, pour nous, là où nous sommes, et où parfois nous avons l’impression de n’être que deux ou trois (cf Mt 18,20), une communion sans cesse à construire. J’aimerais tant que nous la construisions ensemble. Et je suis sûr que le Seigneur se réjouit de la construire avec nous, lui qui est présent au milieu de nous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *