Messe du 22ème dimanche ordinaire

 

Frère Philippe de Roten O.P. , à la chapelle Notre-Dame des Marches, Broc, FR, le 29 août 2010
Lectures bibliques : Sirac 3, 17-29; Hébreux 12, 18-24; Luc 14, 1a. 7-14 – Année C

 

Liberté et humilité : deux mots, frères et soeurs, qui peuvent résumer l’Evangile qu’on vient d’entendre, deux mots qui ne semblent pas faire bon ménage !
La liberté : tout fait penser que pour l’avoir il faut pousser des coudes, se frayer un chemin au dépens des autres, pour occuper les premières places dans le spectacle du monde, pour s’assurer ce respect, cet amour, cette reconnaissance dont nous avons tant besoin !
L’humilité : quel mot suspect aujourd’hui, et l’Evangile de ce dimanche ne semble pas dissiper nos soupçons : être humble ce serait donc prendre la dernière place, s’écraser pour le moment en attendant sa revanche dans l’au-delà !
Entre la liberté et l’humilité, il faudrait donc choisir ? Ecraser le voisin ou s’écraser ! Pousser des coudes ou rester en rade !
Au ras de notre petite expérience humaine, on pourrait en rester là . . .

Mais voilà : c’est Jésus qui nous parle, cet homme libre et humble que nous reconnaissons comme notre Seigneur et Sauveur, ça nous oblige à prendre de la hauteur :
Jésus qui parle ici, c’est d’abord cet homme qui manifeste une liberté surprenante, par rapport à un monde où tout semble à sa place, qui vient, par sa liberté, bouleverser l’ordre des choses, qui finira même, dans l’événement de la Résurrection, par abattre les murs de la mort et du péché !
Il mange avec les pécheurs et les publicains, cela ne se fait pas, on le lui reproche vivement!
Quand il a ses entrées chez les gens « bien », comme aujourd’hui chez les pharisiens, au lieu d’occuper sagement sa place et de dire ce qu’on attend de lui, il adresse des paroles plutôt désobligeantes, comme des reproches, aux gens importants qui sont là, qui se sont pressés pour occuper les premières places.
Jésus qui parle ici, c’est aussi cet homme humble, dont l’humilité bouleverse nos jugements et nos classifications, parce qu’il se met au rang des plus petits, sans prendre leur place.
Nouveau-né à Bethléem, il ne trouve pas de place où loger, il doit bientôt fuir son pays ; sur la croix, il est mis au rang des criminels; tout au long de sa vie, il fréquente les pécheurs, les publicains, et les exclus de toutes sortes.

Les paroles de l’Evangile d’aujourd’hui ne sont donc pas de simples règles de savoir-vivre, elles sont dites par quelqu’un qui vit dans sa chair les paroles qu’il nous adresse !
Quand tu es invité à des noces, nous dit Jésus, ne va pas te mettre à la première place . . . Au contraire, va te mettre à la dernière place . . . : nous savons assez combien tout n’est pas en ordre dans notre monde où les uns occupent les premières places, tandis que les autres n’ont pas de place du tout.

A la table des noces de Jésus, c’est différent : il n’y a pas de place à prendre, il n’y a que des places à recevoir, et l’enjeu de l’invitation de Jésus n’est pas tant de s’écraser au lieu d’écraser, mais de recevoir au lieu de prendre, et l’humilité que Jésus nous propose est de nous mettre en situation de recevoir la place que Dieu nous réserve auprès de lui, parce que les choses les plus importantes que nous désirons : le bonheur, l’amour, nous ne pouvons pas les saisir par violence, nous ne pouvons que les recevoir : l’humilité chrétienne tient justement à cette capacité de recevoir et d’attendre le bonheur d’un autre, d’un conjoint, d’un proche, d’un ami, et finalement, de Dieu lui-même !
Jésus nous donne ensuite une deuxième règle, et nous fait changer de place : je ne suis plus l’invité, mais celui qui invite : Quand tu donnes… un dîner, n’invite pas tes amis,… ni tes parents, ni de riches voisins; sinon, eux aussi t’inviteraient . . . invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, et tu seras heureux . . .!

Combien de fois nous arrive-t-il d’accueillir à notre table un pauvre, un infirme, un inconnu ? A notre table aussi, nous préférons avoir les choses sous contrôle, garder la maîtrise des événements, être sûrs que tout est à sa place ! Alors, forcément, un pauvre, un inconnu, c’est risqué, ça dérange . . . comme ces « gens du voyage », dont on parle tant ces jours, qui ne veulent pas se ranger à la place qu’on leur réserve !
Mais voilà : Jésus nous demande d’ouvrir notre cercle, d’inviter des inconnus sans rien attendre en retour, il nous demande de prendre l’initiative, pour nous faire découvrir, j’imagine, quand on a fait le pas, que Dieu nous devance toujours : nous pouvons ne rien attendre en retour parce que nous ne sommes pas les premiers à inviter, nous ne faisons que répondre à Dieu qui nous invite !

Frères et soeurs, la liberté et l’humilité sont souvent caricaturées, on les oppose, comme s’il n’y avait pas d’autre choix qu’écraser ou s’écraser! Jésus nous rappelle aujourd’hui l’essentiel :
La liberté véritable est humble, parce qu’on ne peut que la recevoir d’un autre, et de Dieu ! Pour être libre, pas nécessaire de tout maîtriser, c’est plutôt le contraire qui est vrai : il faut lâcher prise, arrêter de calculer, ou compter sur un autre, et plus seulement sur soi-même !
L’humilité véritable n’a rien de timoré ou d’humiliant : elle est généreuse, magnanime comme Jésus qui s’est fait notre serviteur, c’est l’humilité des hommes et des femmes libres que nous sommes déjà par le baptême.
Mettons-nous donc à l’école de Jésus, laissons-nous bouleverser, remettre en place par son humilité et sa liberté, il n’y a pas de meilleure manière d’accueillir la béatitude qui nous est adressée une fois de plus au moment de la communion : Heureux les invités au repas du Seigneur!

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *