Messe du 21e dimanche ordinaire

Père Amédée-Bernard Emaulaz, Monastère des Bernardines, à Collombey, VS, le 24 août 2003.

Lectures bibliques : Josué 24, 1-18; Jean 6, 60-69

Se décider pour Dieu

Pour ce 21e dimanche du Temps ordinaire et comme première lecture de sa liturgie eucharistique, l’Église nous offre un passage du livre de Josué. Il s’agit, en fait, de la conclusion de ce livre, de quelques versets du chapitre 24. (Soit dit en passant : on peut le regretter !…)

 

Le Livre de Josué – vous le savez sans doute – nous raconte la conquête de la Terre promise à la manière d’une épopée. On peut oser affirmer – avec Jean-Louis Ska – que toute « la description de cette conquête obéit aux conventions littéraires de l’épopée ». L’épopée – faut-il le rappeler ? -, avec son style héroïque, « transpose son lecteur dans un monde sublime où le relatif laisse la place à l’absolu. L’épopée, en effet, ne connaît pas de voie moyenne : victoires ou défaites sont totales, l’enjeu en est la vie et la mort, les compromis et les tergiversations sont impensables ».

 

Si Israël semble avoir réussi son entreprise sinon à la vitesse grand V, du moins en quelques années, s’il y a eu, bien sûr, des difficultés, des combats, des pertes en vies humaines…, tout cela paraît rapide à côté des longues années passées à se traîner à travers le désert, après la sortie d’Égypte. Or, logiquement, cela aurait dû être l’inverse. Dans le désert, il n’y a personne : en théorie, il suffit de le traverser. Pourtant, cette traversée a duré très longtemps, si longtemps que pas un seul de ceux qui étaient sortis d’Égypte n’a vu de ses yeux la Terre promise. Moïse lui-même ne l’a vue que de loin, sans pouvoir y entrer ! La Terre promise, au contraire, est très peuplée : à chaque détour de chemin, on aurait dû être arrêté, avoir à se battre mètre par mètre, maison par maison. S’il n’en a pas été ainsi, c’est parce que le Dieu des armées a voulu manifester sa puissance. Qui peut, en effet, s’opposer au Dieu des victoires ?

 

Mais ce qui est donné dans l’instant doit pouvoir se déployer dans le temps. Voilà pourquoi le livre de Josué s’achève par une invitation à choisir, à se décider pour Dieu. Le livre suivant, celui des Juges, montrera que ce n’est pas facile, et que les puissances adverses et les idoles relèvent sans cesse la tête. Josué lui-même prend alors la parole pour se faire en quelque sorte l’avocat du diable auprès des Hébreux : « Soyez donc réalistes ! Vous ne pourrez pas servir le Seigneur, c’est beaucoup trop difficile. Vous savez bien qu’il est un Dieu saint, jaloux qui ne supportera pas vos révoltes et vos péchés. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux renoncer ? » Et, comme c’était prévisible, le peuple, piqué au vif, s’écrie : Non,… nous servirons le Seigneur. Cette décision, une fois exprimée, Josué peut leur dire: Vous êtes témoins contre vous-mêmes que c’est vous qui avez choisi le Seigneur pour le servir. Autrement dit : « Vous voilà engagés. Tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant, mais vous êtes au moins délivrés de vos atermoiements ».

Un Dieu qui s’abaisse

 

Dans l’Évangile, il s’agit aussi d’un choix. Il s’agit de se décider pour Dieu. Simplement, ici, Dieu n’est autre que Jésus qui a mis son auditoire au pied du mur : accepter ou rejeter les affirmations inouïes, scandaleuses, voire provocatrices, du discours sur le Pain de vie : Je suis le Pain vivant descendu du ciel… Je suis le Pain de vie… Le Pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde… Si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous… Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment une boisson.

 

Les similitudes entre les deux textes ne doivent cependant pas nous faire oublier les différences. Une différence, surtout : dans la première lecture, il s’agit d’une conquête, d’un triomphe, il s’agit pour l’homme de monter vers Dieu ; dans la seconde, il s’agit d’accepter que Dieu s’abaisse, que Dieu soit totalement désarmé. Ce qui rend les paroles de Jésus dures, intolérables, c’est que Jésus exhorte d’abord à croire en lui (exactement comme on croit en Dieu) pour inviter finalement à manger sa chair et à boire son sang. Non seulement il y a là deux scandales, mais en plus, l’un et l’autre tirent les auditeurs dans deux directions opposées. Admettons, en effet, que certains se mettent à croire à la divinité de Jésus : nul doute qu’ils éprouvent encore une plus grande répugnance à accepter la seconde partie du message. Pour un Juif, croire que Jésus est le Verbe de Dieu, l’égal de Dieu (5,18), c’est déjà difficile. Mais croire que le Verbe s’est fait chair (1,14), et que la chair se fait nourriture, c’est plus difficile encore. Ce n’est sans doute pas renoncer à croire à la puissance de Dieu. Mais c’est bien remettre en question l’image que l’on se fait de cette puissance : quel paradoxe qu’une puissance qu’on utilise pour se rendre impuissant, désarmé, pour se livrer entre les mains de pécheurs, pour se faire comme un objet, une miette de pain, pour se rendre assimilable comme l’est une nourriture.

 

Tout au long du discours sur le Pain de vie, Jésus a patiemment préparé son auditoire, son peuple, à cette révélation. Comme Josué (Iehoshoua) l’avait fait pour les Hébreux, Jésus (un autre Iehoshoua : Dieu sauve) a mis aussi ses auditeurs au pied du mur… A-t-il abouti à un échec ? Certainement pas : Simon Pierre, en effet, décide de ne pas partir ; et cette décision est fondée sur une profession de foi: Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu.

Ratifier l’Alliance

 

À partir de ce moment nous sommes témoins, comme dans le Livre de Josué, d’une entrée en alliance. Ce qui constitue l’alliance, en effet, c’est un acte de foi en Dieu, un engagement sans partage envers lui, en réponse à sa promesse. Ces éléments constitutifs de l’alliance sont réunis dans la réponse de Simon Pierre. Ils sont également nécessaires pour recevoir l’eucharistie. S’il manque seulement l’un d’entre eux, le geste que nous faisons en recevant la communion se trouve vidé de son sens. Il faut, en particulier, que nous désirions vraiment suivre le Christ et ne pas partir, nous aussi… Lorsque nous sortons de l’église après avoir communié, nous ne partons pas pour l’abandonner, mais pour le vivre, le proposer et le donner ! Lorsque nous entendons les paroles de la consécration, sans doute ne disons-nous pas : « Ce qu’il dit là est intolérable ! Cette parole est dure ! Qui peut l’entendre ? » Mais disons-nous, en positif, ce que disait Simon Pierre : Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle. A qui irions-nous ? Et, après l’avoir dit, en notre for intérieur, le faisons- nous vraiment ? Si Jésus nous dit : Vous aussi, vous voulez vous en aller ? Qu’allons-nous lui répondre dans notre existence concrète ?

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