Abbé Francis Zufferey, chapelle Notre-Dame de Tours à Cousset (FR), le 16 août 2009 Lectures bibliques : Proverbes 9, 1-6; Ephésiens 5, 15-20; Jean 6, 51-58 – Année B |
« Qui mange ma chair et boit mon sang à la vie en lui. »
Avouons qu’une telle expression a de quoi étonner tout un auditoire ! Ce que les générations actuelles ne comprennent pas, les foules d’autrefois ne l’ont pas mieux compris. Le Christ a connu l’échec après son discours sur le Pain de vie. Cependant, cet échec peut nous être utile ! Il nous rappelle à toutes et tous, nous qui avons pour mission d’annoncer l’évangile, que nous ne sommes pas chargés d’imposer quoique ce soit ou de faire croire (la foi est don de Dieu par l’Esprit Saint), mais que nous devons proclamer une Parole, favoriser le dialogue et surtout témoigner du Christ en devenant Celui que nous avons reçu.
Les personnes qui suivaient l’enseignement de Jésus, ont été étonnées, voir choquées lorsqu’elles l’ont entendu leur dire : « Si vous ne mangez ma chair et vous ne buvez mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous… » Devant la surprise de la foule et le scandale provoqué, Jésus continue son discours dans le même sens : « Ma chair est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson. » Surprenant que le Christ n’essaie pas de nuancer son discours. Il aurait pu atténuer le propos en disant qu’il s’agissait d’un langage symbolique, qu’il invitait les peuples à prendre un repas en commun, en son nom, afin de se souvenir de lui ; qu’il voulait signifier par là que sa présence en nous est déjà Vie éternelle.
En effet, l’Eucharistie n’est pas qu’un symbole. Jésus présente la résurrection comme suite normale de la vie éternelle, et non l’inverse : Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. Pour saint Jean, la vie éternelle, c’est le présent de tous ceux qui se nourrissent du corps et du sang du Christ, et la résurrection, c’est l’avenir de ceux qui vivent dès aujourd’hui de la vie éternelle. Chaque communion eucharistique nous unit à la personne même du Christ ressuscité. Comme le dit Jean : « nous sommes invités à demeurer en lui et lui en nous, afin de porter un fruit qui demeure. »
Dans les évangiles, quand il s’agit de révéler la véritable image de son Père, Jésus ne fait pas dans la demi-mesure. Le zèle de la maison le dévore, il est un « passionné »
Passionné par l’amour de son Père et du besoin de nous le révéler, non comme un Père autoritaire et distant mais comme un Dieu d’amour qui brûle de tendresse et de miséricorde pour les hommes.
Passionné il l’était aussi pour ses amis, et ceux qui le suivaient. Il était heureux de faire communauté avec eux. D’ailleurs les 12 avaient mis toute leur confiance en Lui au point de tout quitter pour le suivre.
Passionné il l’était encore envers les foules, il pardonnait aux pécheurs, guérissait les malades, il accueillait les exclus de toutes sortes invitant chaque personne à entrer dans un chemin de conversion et à croire à la bonne nouvelle du salut. Il ne cesse de dire aux uns et aux autres qu’il n’est pas venu pour juger mais pour sauver, pour relever le pécheur que nous sommes.
Il faut être passionné pour dire et aller jusqu’au bout de l’amour en donnant sa vie pour tout homme et manifester, à travers l’Eucharistie, la volonté d’être tout en tous. M. Zundel dit admirablement ce lien mystique qui unit tous les hommes :
« Pour que l’humanité s’unisse et devienne une humanité digne d’elle-même, libre et créatrice, il faut ce lien mystique de l’Eucharistie, il faut que Dieu soit la respiration commune de tous, il faut que le même cœur de Dieu (révélé par Jésus) soit la respiration commune de tous, il faut que le même cœur de Dieu passe dans tous les cœurs et que chaque personne reconnaisse dans les autres humains l’immensité de la Présence et la grandeur ineffable de la pauvreté divine. »
Une telle description de l’Eucharistie nous met en garde contre une tendance à faire du Corps du Christ, une icône à contempler et à exposer sur les autels. Un prêtre me disait un jour : « Une heure d’adoration du Saint Sacrement, n’a de sens que si elle est suivie de trois heures d’action caritative au service des frères et sœurs les plus démunis. » Je partage cette vision, tout en m’efforçant de garder un équilibre.
Manger le corps et boire le sang du Christ, c’est faire nôtre, c’est assimiler ce qui constitue la propre vie du Christ. Communier au Christ c’est entrer peu à peu dans la révélation de qui est Dieu : il est don de lui même, c’est à dire AMOUR. Amour non pas possessif, mais Dieu respectant notre liberté. Mieux encore, cette révélation de l’amour quand nous mangeons et buvons le corps et le sang du Seigneur, nous l’acceptons comme notre propre et unique loi. Il ne reste alors qu’un seul commandement : AIMER comme Il a aimé afin de devenir totalement celui que nous recevons.
Le premier sens du verbe communier qui nous vient à l’esprit, évoque l’idée d’être simplement unis à quelqu’un, alors que le sens étymologique venant du latin com-munus signifie : partager la même charge, les mêmes responsabilités, les mêmes fonctions. Nous ne communions pas au Christ pour mériter le ciel après notre mort, nous communions, comme dit saint Paul, pour avoir en soi les sentiments du Christ lui-même : même amour du monde, même mission. Il s’agit de se laisser remplir par l’Esprit-Saint et communier avec discernement aux aspirations des hommes en partageant leur vie, comme le Christ à partager la nôtre.
Puissions-nous entretenir notre foi dans une conception dynamique de la communion. Il ne s’agit pas seulement de nous nourrir. Il s’agit avant tout de partager la mission du Christ sauveur. Il s’agit d’être comme Lui, des hommes et des femmes passionnés, des hommes et des femmes mangés. Donnons chaque jour un peu de notre vie par amour et devenons Celui que nous avons reçu.