Abbé Jean-René Fracheboud, au Foyer des Dents du Midi, Bex, le 12 août 2007 Lectures bibliques : Sagesse 18, 6-9 ; Hébreux 11, 1-2 et 8-19; Luc 12, 32-48 – Année C |
Etre veilleur : quelle belle et somptueuse mission !
Il y a dans ce mot toute la jeunesse de la vie et toute la saveur d’une liberté qui mobilise ses forces pour quelque chose de très grand, de très beau. C’est tout le contraire d’un somnambulisme de l’existence.
Pour quoi veiller ?… parce qu’il y a DON immense à accueillir.
« Jésus disait à ses disciples : sois crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. »
Le Royaume de Dieu est là, tout près de nous, comme un cadeau offert, il ressemble à un trésor inépuisable, inaltérable. Les voleurs n’ont aucune prise sur lui et les mites ne peuvent pas l’abîmer.
Ce Royaume,
c’est un visage, celui de Jésus-Christ ;
c’est un regard qui envisage l’homme pour le faire naître à lui-même ;
c’est un cœur débordant de tendresse ;
c’est une liberté qui appelle d’autres libertés pour une alliance éternelle.
Il s’agit de veiller pour accueillir vraiment ce cadeau, ce trésor.
Le risque est grand de passer à côté
parce que nous sommes trop occupés à des futilités,
parce que nous nous agitons beaucoup,
parce que nous vivons à l’extérieur de nous-mêmes,
parce que nous avons déserté l’intérieur, l’espace du cœur…
« Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. »
C’est beau d’être veilleur pour accueillir tous les jours ce trésor avec étonnement et émerveillement. Mais cette attitude essentielle et fondamentale de la vigilance nous oriente vers le futur. Ce trésor, il est déjà là, offert, donné mais il est encore à venir, il est de l’ordre de la promesse.
« Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller. »
Le Seigneur ne nous demande pas de briller mais de durer. Il s’agit de rester libre par rapport à ce qui est en train d’advenir.
Cette provocation évangélique me semble très actuelle.
Nous vivons le règne de l’immédiateté : tout et tout de suite !
Nous sommes dans une société de l’instantané.
Il faut s’éclater dans l’instant, faire le plein d’émotions et de plaisirs aujourd’hui !
Ne sommes-nous pas en train de vivre une forme de tyrannie du moment présent,
d’autant plus que l’avenir est incertain et parfois angoissant ?
L’Evangile vient élargir la perspective en nous ouvrant l’espace d’un réel cheminement, d’une croissance possible : l’appel à « veiller », à guetter l’aurore, à nous tourner vers le soleil devient alors libérateur. C’est la raison pour laquelle l’épître aux Hébreux mettait en valeur l’attitude d’Abraham et de Sara. Ils ont fait confiance à une parole qui leur ouvrait un AVENIR. Abraham partit sans savoir où il allait. Sara, malgré son âge, fut rendue capable d’avoir une descendance parce qu’elle avait pensé que Dieu serait fidèle à sa promesse. Ils ont risqué leur vie sur la promesse… une terre… et une descendance.
Ils ont fait l’expérience qu’on est plus vivant dans le désir que dans la possession.
Toute l’histoire biblique est parsemée de veilleurs, de femmes et d’hommes d’audace et d’enthousiasme qui ont compris que Dieu était présent à leur histoire pour l’orienter, pour l’enrichir, pour la dilater et la conduire vers un point de lumière et de plénitude.
Etre veilleur, attendre, tout en étant actif et dynamique, se préparer à rencontrer définitivement son Seigneur nous amène à considérer notre inachèvement comme une chance et une promesse.
Il n’est pas facile de s’accepter avec ses limites, ses pauvretés, ses contradictions.
Plus nous avançons en âge, plus nous mesurons, parfois amèrement, qu’il y a un monde entre les projets envisagés, rêvés et la réalité. Une forme de violence, les drogues et le suicide ne sont-ils pas des échappatoires pour fuir l’inaccompli et l’inachevé de nos vies ?
La foi m’invite à un réalisme encourageant. « Dès à présent, nous sommes enfants de Dieu mais ce que nous serons ne paraît pas encore pleinement. » Quelle parole éclairante ! C’est ce que nous serons qui éclaire ce que nous sommes, qui le révèle en vérité et en profondeur. L’avenir éclaire mon présent, comme l’épi donne relief au grain jeté en terre, comme le papillon donne sens à la chenille.
« Veiller », « Attendre », « Rester en tenue de service », « Garder les lampes allumées » : autant d’incitations à une vigilance.
Je peux discerner dans les semences d’aujourd’hui les fruits de demain.
Je peux passer du « dérisoire » au « provisoire ».
Frères et Sœurs, on demande des veilleurs
au sommet des montagnes,
sur les grands chantiers où se prépare l’avenir,
au cœur des régions sinistrées par la violence et la guerre…
on demande des veilleurs
au sein de nos écoles,
au cœur des églises,
sur le seuil de toutes les frontières…
on demande des veilleurs
en tenue de service et avec des lampes allumées.
On surveille au nom de la Loi mais on veille au nom de l’Amour !
Amen