Chanoine Jean-Pascal Genoud, à La Pelouse, Bex , le 7 août 2005 Lectures bibliques : 1 Rois 19, 9-13; Romains 9, 1-5; Matthieu 14, 22-33 – Année A |
Frères et sœurs,
J’ai – vous le verrez – une bonne raison de commencer par décrire en quelques mots l’endroit où nous sommes réunis pour célébrer cette Eucharistie. Il s’agit – je le rappelle tout spécialement pour nos auditeurs – du lieu-dit « La Pelouse », à deux pas des petites villes de Bex et de St-Maurice. Une magnifique colline, faite de prairies verdoyantes, ornée de splendides arbres. Vous y trouvez, agréablement disséminés, quelques bâtisses : une chapelle (où nous sommes), la maison des sœurs, une ferme, un ermitage, des maisons d’accueil pour des groupes qui vivent ici sessions d’études ou retraites spirituelles. Bref, vous l’aurez compris – ou tout au moins deviné – , cela constitue un véritable oasis, oasis de calme, de beauté, de grâce, de prière : un havre de paix. Avec les enfants du Camp Vocation, nous y avons passé la semaine, dans un décor de rêve. Et nous en sommes témoins : même lorsqu’il fait mauvais, ici, la pluie reste tranquille, sage, pacifiante. Autant dire que ce lieu n’est vraiment pas le plus indiqué – je dirais même qu’il est même franchement le plus inadapté qui soit – pour méditer sur une tempête évangélique !
En effet, dans le merveilleux tableau de ce jour, il importe de considérer ce qui en constitue la toile de fond : c’est un climat sombre qui dure et qui perdure, toute une nuit. Ce régime dominant se résume en l’expression des « vents contraires ». Combien d’êtres humains n’en font-ils pas la plus cruelle expérience, de ces vents contraires ? Quand rien ne va plus. quand des vagues sournoises et incessantes viennent battre inexorablement contre la faible embarcation de nos vies.
Il est impossible de faire le compte de cette somme de souffrances, de difficultés, de remise en question à laquelle l’humanité ne cesse d’être affrontée. Quotidiennement. Plutôt que de tenter d’en dresser une liste décourageante, inépuisable, je me borne à signaler deux éléments qui me paraissent avoir la plus grande portée symbolique, (du fait qu’ils affectent profondément la conscience collective de notre humanité). N’avons-nous pas de sérieux « avis de tempêtes », avec la bombe atomique d’Hiroshima (dont nous commémorions hier le 60ème anniversaire) jusqu’aux récents attentats terroristes. La mort de tant de victimes innocentes jette un voile sur espérance.
Or c’est précisément dans le contexte d’une tempête que Jésus aujourd’hui tient à se manifester. En soit, rien de trop étonnant qu’un Sauveur intervienne en cas de catastrophe. Si vraiment, il est un Sauveur ! C’est peut-être la manière qui nous gênera le plus. D’ailleurs, les humoristes de tous poils ne se sont pas gênés de traiter cet épisode, en en soulignant tout le cocasse et le ridicule. Jésus qui marche sur les eaux ! Vous imaginez !
Et pourtant, lorsqu’on essaie d’entrer avec respect et attention dans le climat spécifique de cette scène, je vous assure qu’il n’y a vraiment pas de quoi rire. C’est plutôt un sentiment de stupéfaction, d’admiration étonnée qui devrait nous envahir.
Deux indications peuvent nous aider à accueillir ce texte dans sa profondeur et sa sublimité.
– D’abord : l’épisode se passe à l’aube, au lever du jour, – qui plus est au terme d’une longue nuit endurée – Or l’aube est évidement heure de Résurrection. Nous avons là, sous la plume de l’Evangéliste Matthieu, une claire affirmation de la Seigneurie du Christ sur les eaux de la mort.
– Ensuite : il est bien noté, avant notre scène, que Jésus s’est retiré dans la montagne pour prier. Pour prier son Père. Je vous invite à voir dans cette attitude intérieure et priante la raison pour laquelle Jésus ne sombre pas dans les eaux. Je dirais – d’une certaine manière – que Jésus est comme accroché à son Père du ciel. Mais en même temps, il faut très nettement affirmer que Jésus n’a rien d’un un fakir ou d’un illusionniste. Un jour, il va consentir librement à affronter la tempête de sa Passion. Il va descendre dans les eaux de la mort, comme nous devrons tous le faire. Mais il se révélera insubmersible. On ne fait pas couler définitivement le Fils de Dieu. Il remonte sitôt à la surface. Il est force irrépressible de Résurrection et, avec le Psalmiste, il loue : « Tu m’as tiré du gouffre des eaux. »
De tout cela, j’aimerais vous inviter à en trouver la confirmation a contrario dans l’attitude de l’Apôtre Pierre, la confirmation de ce que représente vraiment cette marche sur les eaux. En effet, Pierre, dans l’idée de vérifier ce phénomène troublant, se risque à marcher lui-même sur l’eau. Remarquons bien ce qui se passe : il commence par attendre l’ordre de le faire. Il mendie même curieusement cet ordre. Et Jésus l’appelle, il lui dit : « Viens !». Et ça a l’air de marcher (c’est le cas de dire que ça « marche » !) Le problème – et Pierre en fait la cruelle expérience – c’est que ne marche qu’à la confiance. A la première peur, au premier repli sur soi, c’est le naufrage assuré. Le test est donc très concluant : ce n’est pas une confiance en soi (qui reste par ailleurs une qualité humaine tout à fait enviable), mais ne ce n’est que dans la réponse confiante à l’appel de Jésus que Pierre obtient cette capacité surnaturelle de marcher sur l’eau.
Que l’on pense à ce jeu où un papa invite son enfant à sauter d’un mur bien haut. C’est dans des bras tendus et un regard bienveillant que l’enfant trouve la confiance de se lancer. Que vienne à se détourner le papa et l’enfant restera paralysé dans sa peur ; il ne pourra jamais se risquer dans le vide. C’est donc dans l’ordre relationnel que se trouve la clef de l’énigme.
Resterait encore à souligner que Jésus se sert même de l’échec de Pierre pour lui apprendre le chemin de la confiance, suscitant en lui une prière urgente et vitale. Mais la dernière remontrance de Jésus à Pierre doit cependant nous toucher tout particulièrement, car elle revêt un aspect de reproche. « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? ».
Et nous resterons sur cette question aujourd’hui : qu’est-ce qui fait que, à la suite de Pierre, il nous soit si difficile d’avoir une totale confiance en Jésus ? Ne serait-ce pas que, bien trop vite, nous nous regardons nous-mêmes ? Que nous jugeons de notre propre point de vue terrestre, humain, un point de vue si limité ?
Seigneur, vraiment, augmente notre foi. C’est elle qui nous libérera de nous-mêmes et de nos peurs. Elle nous fera traverser nos nuits et nos tempêtes les plus sombres. Elle nous donnera de marcher à ta suite, jusqu’à la rive de ton bonheur éternel.
AMEN