Messe du 19e dimanche ordinaire

 

 

Abbé Jean-René Fracheboud, au Foyer de Charité « Dents du Midi », Bex, le 11 août 2002.

Lectures bibliques : 1 Rois 19, 9-13; Romains 9, 1-5; Matthieu 14, 22-33

Chers Frères et Sœurs,

Que c’est beau de cheminer avec Dieu, de croire en Lui.
Et pourtant, le risque est grand de se tromper de Dieu !
Le risque est grand de déformer Dieu à notre image !
Le risque est grand de faire de Dieu une idole, un magicien !
J’aime entendre ce cri de fraîcheur d’une enfant qui dit à sa maman : « J’aimerais bien dessiner Dieu ». Sa maman l’encourage et la petite se met à sa table de travail… devant une belle feuille blanche et des crayons de couleur…
Par trois fois, elle interroge sa maman : « Est-ce que Dieu est grand ? Est-ce que Dieu est beau ? Est-ce que Dieu est bon ? » Sa maman répond par l’affirmative chaque fois, pourtant la petite ne dessine toujours pas. Au bout d’un moment, l’enfant s’exclame : « Maman, je n’ai plus envie de dessiner Dieu, j’ai trop peur de l’abîmer ! » Quelle leçon pour les adultes que nous sommes, nous, chercheurs de Dieu, quêteurs de sens, aventuriers de la foi !

La liturgie de ce dimanche nous redit avec force qu’il n’y a pas d’expérience profonde de Dieu sans un long et patient cheminement, un cheminement dans le plus profond de la vie, dans l’épaisseur du quotidien, qu’il soit de lumière ou de nuit. Dieu n’est pas au bout d’un raisonnement, accroché à des idées, à des dogmes ou à des rites. Il est au-delà, Il est en dedans. « Maman, je n’ai plus envie de dessiner Dieu, j’ai trop peur de l’abîmer ! »

C’est le Seigneur lui-même, qui, au rythme de son amour passionné, se charge de dessiner dans notre trajectoire humaine les traits de son visage, de sa présence, de son projet sur nous. Le dessin que Dieu imprime en nous se fait chemin.

Les deux textes proposés à notre méditation aujourd’hui nous offre deux couleurs de ce chemin à faire et à refaire. Avec Elie, dans la montée de l’Horeb, c’est le chemin qui va de l’extérieur à l’intérieur, du bruit tapageur et excitant au murmure d’une brise légère. Avec les disciples sur le lac, c’est le chemin qui va du fantôme à la confession de foi : Vraiment tu es le Fils de Dieu. Empruntons résolument ce double itinéraire. Il est chemin de vie, de lumière et de vérité.
– Elie vit un moment difficile, en prise avec le roi Achab et la reine Jézabel, en conflit avec eux, il doute de sa mission. Il est en pleine dépression et vient se jeter sous un genêt : Seigneur, prends ma vie, je ne suis pas meilleur que mes pères ! Au-delà de son découragement, Elie va être conduit à faire l’expérience que la présence du Seigneur n’est pas liée à la puissance mais à la fragilité.

Dieu n’est pas dans l’ouragan, pas dans le tremblement de terre, pas dans le feu mais dans le murmure d’une brise légère : vulnérabilité de l’amour de Dieu qui s’offre à nous dans le dépouillement. Se profile ainsi le dessin de toute la vie du Christ, né dans la paille de Bethléem, à genoux devant ses disciples pour leur laver les pieds, dépossédé de tout dans le mystère de la croix.

Pour être au diapason de ce Dieu qui se manifeste dans la fragilité, il nous est urgent de travailler l’intériorité, de descendre souvent dans la crypte intérieure du coeur pour entendre le murmure de la Parole. Il nous est urgent de retrouver le goût du silence, de l’étonnement, de l’émerveillement pour découvrir la face lumineuse et cachée des êtres et des choses et la délicate brûlure de la présence du Christ. Il est important de nous unifier dans l’essentiel et de nous simplifier dans la gratuité et l’abandon. Elie nous redit le primat de la prière dans notre vie chrétienne. L’intériorité est la respiration d’une vie en chemin qui s’arrache au somnambulisme du quotidien et qui nous établit dans une transparence du regard, les pieds sur terre avec du ciel dans les yeux et de l’infini dans le coeur.

L’autre chemin balisé aujourd’hui par l’Evangile, c’est celui qui va du fantôme à la confession de foi. C’est la voie de l’itinérance, de l’exode, de la marche, de la persévérance. La foi au Christ vivant implique un dépassement continuel. Pouvoir adhérer à l’Evangile et structurer sa vie dans l’amour et la miséricorde suppose un combat de tous les instants. Les tempêtes et les turbulences, les vents contraires et les tornades secouent terriblement nos barques personnelles, familiales et ecclésiales… ça secoue fort aujourd’hui dans tous les sens !

Après l’euphorie provoquée par la multiplication des pains, Jésus renvoie ses disciples sur le lac et Lui va prier seul dans la montagne. De nouveau, Il provoque une distance, un écart qui va permettre une prise de responsabilité, un engagement de la part de ses disciples. Au coeur de la peur, ils devront entendre l’appel : Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur. Il y a une extraordinaire disproportion des forces en présence : d’un côté, la menace de mort par la mer en furie, de l’autre un visage et une parole. Par ce ‘va et vient’ des paroles et des gestes de Jésus ressuscité, vainqueur une fois pour toutes des forces de mort, les disciples vont peu à peu découvrir le don immense que Christ leur fait : le salut, la libération, un amour victorieux de tout, une intimité contagieuse de vie et de plénitude. Vraiment, tu es le Fils de Dieu.

Connaître vraiment Jésus-Christ est un long chemin. Il s’agit de croire que le Christ nous aime et pourtant, après sa mort et sa résurrection, Il échappe à nos prises sensibles. Il est pour nous Vie, Présence, Lumière et pourtant Il nous laisse patauger dans nos ornières. Il nous laisse prier sans succès apparent, Il nous laisse chercher sans consolation facile et immédiate. Il règne; personne ne pourra contester la victoire de Pâques et pourtant sous nos yeux se déploient les tempêtes, les forces de mort, les ratés de la liberté.

C’est donc dans ce contexte difficile qu’est appelé à émerger notre acte de foi, comme l’aboutissement d’un long chemin de grâce : Vraiment, tu es le Fils de Dieu Intériorité et itinérance : voilà les deux grandes balises de notre cheminement spirituel. Nous les accueillons avec fascination et ravissement. Elles sont comme le balancement des pas alternés de notre marche vers Dieu. Elles brillent comme les couleurs et les traits du dessin que Dieu lui-même se plaît à inscrire dans la trame de notre vie, aujourd’hui. « Je n’ai plus envie de dessiner Dieu, J’ai trop peur de l’abîmer ! »

 

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