Chanoine Joseph Voutaz, à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, le 9 août 2009 Lectures bibliques : 1 Rois 19, 4-8; Ephésiens 4, 30 – 5,2; Jean 6, 41-51 – Année B |
Cher pèlerins, chers auditeurs,
Ce dernier vendredi, le col du saint Bernard, habitué à accueillir des personnes d’horizons bien différents, a pourtant vu transiter dans son voisinage un passant inhabituel. Dans la matinée, un énorme hélicoptère, transportant un bateau, est passé tout près du col. C’était l’envol d’Alinghi vers les mers du sud. On avait vu les éléphants d’Hannibal, les soldats de Napoléon, mais un catamaran, jamais ! Ce passage a été rapide, facile, et personne ne s’est bien sûr arrêté pour profiter de l’hospitalité qu’offre l’hospice.
Quand on vient sur le col à pied, la réalité est tout autre. Hier, avec les participants au pèlerinage alpin, nous avons vécu cette expérience de la marche. Partis du village de Ferret, Nous avons expérimenté la fatigue, le froid, le besoin de se reposer un instant, le désir d’arriver bientôt, la joie de voir apparaître la maison qui nous accueille.
La marche est bien sûr une image forte de ce qu’est notre vie. Nous cheminons, de jour en jour, et nous espérons atteindre le bonheur, la maison du ciel. Nous sommes en cela compagnons du prophète Elie. La première lecture de ce jour nous le montre en train de marcher dans le désert. Il est en fuite, fatigué, harassé. Sa vie lui pèse, il désire mourir. C’est là, au milieu du désert, de sa solitude et de sa détresse, que le Seigneur va le rejoindre.
Dans notre vie, il arrive que nous soyons fatigués comme Elie. Parfois le chemin devient trop dur. Parmi nous, et parmi ceux qui nous écoutent, il y en a peut-être qui se disent, ou se sont dit, comme le prophète: « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie », je ne veux plus continuer. Oui, notre chemin de vie peut revêtir la forme d’une traversée du désert, où la solitude nous pèse, et où le but de notre existence nous semble devenir trop lointain. La Parole de Dieu de ce jour prend en compte cette détresse humaine, elle la fait monter vers Dieu.
Quelle est alors la réponse du Seigneur ? Nous le lisons, dans l’histoire d’Elie : Dieu nous écoute. Il nous rejoint profondément, là où nous sommes. Dieu ne dit pas d’abord à Elie : Allons, continue, ce n’est rien ! Relève-toi ! Marche jusqu’à l’épuisement ! Dieu voit sa détresse, il accueille sa fatigue et sa faim. Sa réponse est compréhension, compassion : Il le laisse s’asseoir. Il lui donne à manger, il lui propose de se reposer.
Dans l’évangile, cette prévenance de Dieu est encore infiniment plus grande. Les personnes auxquelles le Christ s’adresse ont aussi faim. Le don va alors beaucoup plus loin. C’est Jésus lui-même qui s’offre en nourriture. Jésus ne donne pas une nourriture quelconque. Il SE donne. En se donnant lui-même, il donne TOUT. Il donne la vie en plénitude. « Je suis le pain vivant : le pain que je donne, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Il y a ici quelque chose de radicalement neuf. Le don que Dieu nous fait, pour nourrir notre faim de vie, pour que nous reprenions des forces sur le chemin parfois rocailleux de notre existence, c’est lui-même. Devant nos faims, Dieu ne nous comble pas au rabais. Il ne nous fait pas de théorie : il se donne lui-même. Il s’engage tout entier dans notre existence. Il donne sa vie pour nourrir notre cœur et nous mener à la joie. Quel amour de sa part ! A travers la Parole de Jésus : « je suis le pain vivant », c’est tout l’amour de Dieu qui est redit.
Quelle est la difficulté pour nous ? Nous sommes souvent habitués à ce mystère d’amour. L’habitude nous endort, elle nous rend indolents à l’amour de Dieu. Et nous nous plaçons dans la perspective des auditeurs qui récriminaient en disant de Jésus : « Mais nous le connaissons, c’est le Fils de Joseph ! Nous connaissons son Père et sa mère. Comment croire ses paroles ? » Nous disons aussi : la Bible, je la connais ! La messe, je sais ce que c’est. Le christianisme ? Oui, je suis de religion chrétienne. Nous avons l’impression d’avoir fait le tour du sujet avec les cours de catéchisme de notre enfance. Mais nous ne connaissons pas vraiment avec le cœur. Et nous ne permettons pas à l’Esprit Saint de rentrer vraiment en nous.
Par la Parole d’aujourd’hui, Jésus veut nous toucher, vraiment . « Je suis le Pain vivant » : cette phrase est pour chacun de nous ce matin. Elle n’est pas un reproche face à nos tiédeurs, elle est une déclaration d’amour de Dieu pour nous. Elle veut percer nos habitudes, nous désinstaller de nos fausses certitudes. Nous faire renaître à un amour nouveau. Dieu s’engage dans notre histoire. Il rejoint notre aspiration à la vie. Il se donne lui-même.
Habités de la présence divine, nous sommes alors appelés à abriter dans notre cœur nos frères et sœurs en humanité. Simplement dit : à répondre à l’amour par l’amour. C’est ce que nous dit saint Paul : « Vous êtes les enfants bien-aimés du Père ! Vivez dans l’amour comme le Christ : il nous a aimés et s’est livré pour nous. » Recevoir en nous la marque du Saint Esprit, dont parle la deuxième lecture, c’est développer notre capacité à recevoir l’amour, et l’ayant reçu, à le donner.
Nous rejoignons ici le thème de notre pèlerinage : risque ta présence comme un chemin d’hospitalité. C’est à dire : Prends conscience que Dieu t’aime, et qu’il se donne à toi tout entier. Il veut te nourrir de sa présence. Il est pour toi source de toute vie. Accueille cet amour. Et lorsque tu auras ouvert ton âme à la tendresse du Père des cieux, ose encore accueillir ton semblable. Fais alors découvrir à ceux qui t’entourent cette présence de Dieu qui brûle en toi.
Notre vocation de disciple est donc dans l’accueil et dans le don. Comme nos poumons, qui inspirent et expirent, nous sommes sans cesse invités à recevoir et à donner : recevoir le pain de vie en signe de l’amour de Dieu, donner tendresse et générosité en vertu de notre statut d’enfants bien aimés. Cette vocation est exigeante, et elle est belle. A la fin de notre pèlerinage, nous voulons l’accueillir comme une grâce. Nous la demandons, en redisant les mots de la prière du pèlerin de la montagne :
Créé par amour, pour aimer, fais Seigneur que je marche,
que je monte par les sommets vers toi
Avec toute ma vie, avec tous mes frères,
avec toute la création, dans l’audace et l’adoration.
AMEN