Messe du 18ème dimanche ordinaire

 

Abbé Philippe Matthey , à l’hospice du Grand-St-Bernard, le 5 août 2007
Lectures bibliques :
Quohélet 1, 2 et 2, 21-23; Colossiens 3, 1-11; Luc 12, 13-21 – Année C

LE CHEMIN DE L’AUTRE

 

On ne dit pas fou à son frère !
J’ai entendu souvent cette parole très sage quand j’étais petit.

Et voilà que Dieu lui-même utilise ce mot pour s’adresser à cet homme dont on ne sait pas le nom : « Tu es fou… ! »  Dieu ne serait-il pas sage ?

Grave cette situation !  C’est une question de vie et de mort. La folie pour Dieu, c’est de s’enfermer dans la mort, comme le fait cet homme. Voyons comment !

D’abord, quand on demande un héritage, pire, quand on se bat pour l’obtenir, c’est parce que la mort a fait son œuvre et qu’on se précipite sur ses dépouilles. Mais plus tard, dans notre histoire, il sera question de mort au moment ou on redemande la vie. La mort rode autour de cet homme qui met de l’importance sur sa richesse.

En revanche, par cette parabole, Jésus nous conduit à réfléchir à la vie : de quoi dépend-elle ? En vue de quoi, en vue de qui, faisons-nous les choix qui nous font tenir debout ?

Il est parfaitement autiste cet homme dont l’évangile nous dit plus haut qu’il est un spécialiste de la loi. Prisonnier de lui-même, prisonnier de sa richesse, il est menacé d’asphyxie. L’avez-vous remarqué ?  Le nombre de possessifs : « ma récolte, mon blé, mes greniers, moi-même, je, je, je,… »  Ce « moi-je » ne fait référence qu’à sa propre personne, ébloui qu’il est par sa réussite. Du reste, comment boire, manger et profiter de l’existence quand on est seul au monde ?  « Vanité des vanités » nous disait l’Ecclésiaste !

Pire encore : quand il parle, il ne peut parler qu’à lui-même !  Il n’a pas d’interlocuteur, il n’y a personne au bout du dialogue. Alors « il réfléchit en lui-même », Littéralement nous dit le texte, « il parle à son âme ». Il parle à son âme comme à un autre. Il met donc la division en lui-même. Non seulement il est autiste, mais encore il est schizophrène…

Et voilà que l’autre fait irruption. De l’extérieur, d’ailleurs… Le pronom utilisé marque bien l’inconnu : « ON ». On te demande ta vie ! La vie est l’enjeu de cette rencontre encore mystérieuse, indéfinie, mais pleine d’espoir. L’autre se manifeste de deux façons dans notre histoire.

D’abord par la première question de Jésus. Littéralement : « Homme, qui m’a nommé sur vous juge et arbitre ? » Non seulement Jésus ne veut pas intervenir dans la comptabilité de l’héritage, mais il s’adresse à l’homme, à l’humain, à l’autre que lui-même. Lui qui parle de Dieu reconnaît que l’homme est autre. Première étape du chemin de l’autre que nous parcourons depuis le début de notre pèlerinage.

La deuxième façon de se manifester, c’est que l’autre, qui est Dieu, vient rétablir le dialogue : entre Dieu et l’homme il est question de vie. Alors que l’homme était replié sur lui-même, Dieu l’ouvre à la vie : il l’appelle à sortir de soi-même. Il l’interroge sur l’essentiel de son existence : pour quelle rencontre as-tu mis de côté tous tes biens ?
Dieu vient introduire la présence de l’autre dans l’histoire. La sienne, lui qui  est l’Autre par excellence, mais en même temps celle de tous ces humains qui lui prêtent leur visage. Car le chemin de l’autre passe par la rencontre avec celles et ceux que nous rencontrons et qui, chacune et chacun, nous révèlent quelque chose de l’amour de Dieu.

Car c’est là que Jésus nous conduit par cette admirable parabole : il nous fait passer de la mort à la vie. Au départ , un tombeau : quoi de plus fermé qu’un tombeau. Au bout du chemin, un présence : un espace nouveau. Ce chemin de l’autre, c’est le passage de la mort à la vie, c’est le passage de Pâques !

Par notre marche dans la montagne, nous sommes montés par les sommets, nous avons pris le chemin de l’autre. Pour découvrir que la richesse n’est pas enfouie là où certains peuvent le penser. Si nous recevons l’autre comme un don gratuit ; si nous entendons son appel et sa promesse ; si nous risquons la rencontre ; si nous le regardons comme notre prochain, comme notre compagnon selon la traduction littérale de la parabole du bon Samaritain ; oui, si l’autre a sa place dans notre existence, alors nous connaîtrons la vraie richesse.

Contrairement à ce que pensait l’homme de loi de l’évangile, la vraie richesse ne se compte pas en une répartition égalitaire des biens, elle se mesure au don gratuit de l’amour. Car que serait le chemin de l’autre s’il ne nous conduit pas à aimer et à être aimer. En effet, le chemin se parcourt dans les deux sens : à la rencontre l’un de l’autre, pour donner et recevoir.

La richesse qui n’est pas – « en vue de » – est mortelle. Celle qui, par l’autre, est en vue de Dieu, conduit à la vie. A la rencontre de l’autre il y a Dieu, à la rencontre de Dieu, il y a l’autre. Ce chemin n’est jamais terminé, il ne s’enferme pas dans un grenier, il s’ouvre vers l’avenir.

Je vous souhaite que votre marche vers les sommets conduise non pas à accumuler des réserves, mais à faire le plein de ces compagnons et de ces compagnes qui nous ont accompagnés ou que nous allons retrouver au retour : ils sont pour nous l’expression du visage de Dieu. Ainsi nous sommes riches en vue de Dieu, en vue de l’amour.

Alors oui, soyons fous !  Au delà de toute mesure et de toute loi, il y a l’amour de celui qui nous donne sa vie en héritage. Son chemin de passion passe par la croix, là où explose la folie de Dieu.

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