Chanoine Jean-Marie Lovey, à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, le 2 août 2009 Lectures bibliques : Exode 6, 2-15; Ephésiens 4, 17-24; Jean 6, 24-35 – Année B |
Frères et sœurs, chers amis,
Il est très impressionnant de voir combien un être humain, au cours de son existence, consacre de temps autour des questions de nourriture ! Que d’heures de travail pour subvenir aux nécessités de se procurer à manger ! Si le père de famille sait, lui, ce qu’il en coûte parfois de sueur pour gagner le pain quotidien, les mamans savent, elles, ce qu’il peut y avoir d’investissement de soi, d’application, parfois de réel souci pour apprêter jour après jour le repas de famille. Ou bien c’est l’inverse ; on partage différemment les tâches entre fourneau et boulot, mais quel somme d’énergie ! Et puis il y aura le temps passé à table quand on a la chance d’avoir quelque chose dans son assiette ! A raison de trois repas journaliers sous nos latitudes, durant lesquels on parlera beaucoup de nourriture, tout cela suffit à montrer que la nourriture est essentielle à la vie. Les textes liturgiques de ce jour viennent nous confirmer dans cette certitude. Reprenons les lectures de ce jour. Dans le désert qui les déconditionnent de tout esclavage et les mène en pays de liberté, les Hébreux se souviennent du bon temps d’autrefois. C’était le bon temps quand ils avaient de quoi manger. Au menu, en Egypte, il y avait des marmites de viande et du pain à satiété, tellement que le peuple va regretter les oignons d’Egypte en récriminant contre Moïse ! Que va faire Dieu pour prouver qu’il n’abandonne pas son peuple ? Il va lui donner à manger. « Après le coucher du soleil, vous mangerez de la viande et le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Vous reconnaîtrez alors que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu (v. 12). » Quand Dieu veut entrer en lien avec l’homme, quand il veut se manifester à lui, il commence par le nourrir. Il s’approche de ce qui est le plus indispensable et le plus incontournable. Il le rejoint dans ses besoins les plus humains. Souvenons-nous du prophète Elie, fatigué par la marche et fatigué de vivre et qui se fait réveiller par l’ange du Seigneur lui désignant une galette de pain et un peu d’eau : « Mange et bois, sinon la route serait trop longue (I R. 19). » Hic Christus pascitur … est nourri, nous dit saint Bernard demandant aux résidents de cet hospice de venir à la rencontre des faims et soifs des passants.
Et qu’en est-il de la foule qui cherche Jésus au bord du Lac à Capharnaüm. Pourquoi se met-elle en quête du Rabbi ? – « Parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés (v.26) » leur fera remarquer Jésus. Et puisqu’il en est ainsi, il va leur parler de nourriture. « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour celle qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme (v27). » Voilà que nous apprenons d’abord qu’il existe deux types de nourritures ; l’une qui se perd et une autre qui se garde. Et qu’ensuite cette nourriture est le fruit d’un don. « Celle que vous donnera le Fils de l’homme…. ». Etrange nourriture qui vient du Ciel et qui, comme autrefois au désert, fait l’étonnement de ceux qui la reçoivent : « les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre ‘Mann Hou ?’ Qu’est-ce que c’est ? Réponse : C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger (v.15). » Reprenant cette réponse de Moïse, Jésus, dans l’Evangile a bien raison d’insister : « Amen, Amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel (v.32).»
Le pain dont nos corps ont besoin de façon indispensable pour la vie devient, ici, signe d’un autre besoin indispensable que ne pourra satisfaire qu’un autre pain. Le pain de Dieu. Celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. Les disciples comprennent – et peut-être comprenons-nous avec eux – qu’il y a une autre vie et qu’il y a aussi un autre pain pour entretenir cette vie autre. Nourriture tout aussi indispensable que celle des repas de famille. Peut-être sentons-nous, comme les disciples monter en notre âme leur demande : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. (v.34). » Et, à notre demande, Jésus répondra de façon toujours aussi bouleversante : « Moi, je suis le pain de la vie (v.35). » Voici donc que ce qui nourrit, voici donc que le pain n’est plus quelque chose (Mann Hou :Qu’est-ce que c’est ?), mais quelqu’un. Mann Hou ? QUI EST-CE ? « Moi, dit Jésus, JE SUIS le PAIN de la Vie ». Cette nourriture exige et en même temps opère un changement en nous. Elle nous demande d’abandonner la conduite de l’homme ancien qui est en nous, dont les désirs sont repliés strictement sur les besoins terrestres. Elle élargit notre désir. Elle nous transforme ; littéralement nous fait prendre la forme « de l’homme nouveau créé saint et juste dans la vérité, à l’image de Dieu (Eph.4, 24). »
Nous sentons bien que nous sommes ici au cœur du mystère dont la célébration eucharistique nous en dévoile chaque fois une merveille supplémentaire. « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim. Celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif (v.35). »
Le cœur de l’homme est grand. Beaucoup de nos contemporains ont des faims et des soifs immenses qu’on ne peut pas assouvir au rabais. L’homme a faim de Dieu et Dieu a faim qu’on ait faim de Lui.
Le Seigneur saura nous faire la grâce de comprendre que le pain de nos tables humaines, indispensable à la vie des corps, est à la fois fruit du labeur des hommes et don permanent de Dieu. Il saura nous faire la grâce d’accueillir pour notre vie spirituelle ce pain qu’il vient investir de toute sa puissance divine dans la célébration de l’Eucharistie. Alors nous aurons sur nos lèvres non plus des paroles de récrimination, comme les Hébreux au désert, mais des paroles de bénédiction comme celles qu’il est juste et bon de prononcer avant et après chaque repas : « Mon Dieu bénis-nous, bénis la nourriture que nous allons prendre qu’elle nous fortifie afin que nous puissions t’aimer fidèlement et que cette nourriture serve à ta gloire et à notre salut. AMEN ».
PRIERE MEDITATION DE CONCLUSION :
Nous prions en empruntant à la poétesse Marie Noël ces paroles qui mendient à la Source l’eau et le pain pour la faim et la soif de l’humanité.
« Mon Dieu, source sans fond de la douceur humaine,
Je laisse en m’endormant couler mon cœur en Vous
Comme un vase tombé dans l’eau de la fontaine
Et que Vous remplissez de Vous-même sans nous.
En Vous demain matin je reviendrai le prendre
Plein de l’Amour qu’il faut pour la journée. O Dieu,
Il n’en tient guère, hélas ! Vous avez beau répandre
Vos flots en lui, jamais il n’en garde qu’un peu.
Mais renouvelez-moi sans fin ce peu d’eau vive,
Donnez-le moi dès l’aube, au pied du jour ardu
Et redonnez-le-moi lorsque le soir arrive,
Avant le soir, Seigneur, car je l’aurai perdu.
O Vous de qui le jour reçoit le jour sans trêve,
Par qui l’herbe qui pousse est poussée en la nuit,
Qui sans cesse ajoutez à l’arbre qui s’élève
L’invisible hauteur qui dans l’air le conduit,
Donnez à mon cœur faible et de pauvres limites,
Mon cœur à si grand peine aimant et fraternel,
Dieu patient des œuvres lentes et petites,
Donnez à chaque instant mon amour éternel.»
(Chants de la Merci)