Messe du 16e dimanche ordinaire

 

Cardinal Henry Schwery, à l’Abbaye de St-Maurice, le 18 juillet 2004.

Lectures bibliques : Genèse 18, 1-10a; Colossiens 1, 24-28 ; Luc 10, 38-42

Mes frères et mes soeurs,

 

S’il fallait donner un titre à mon homélie, je l’emprunterai à la lettre de Paul aux Colossiens : « Christ, espérance de la Gloire ».

Dans le vocabulaire biblique, le mot « gloire » désigne la divinité en tant qu’elle se manifeste avec éclat, puissance et majesté par le dynamisme même de son Etre. Moïse savait que le nom que Dieu se donnait était l' »être », un « être présent » au milieu de son peuple, avec une valeur de futur autant que de présent, un « être » à découvrir et qu’on aurait déjà mieux reconnu si l’on se donnait la peine d’ouvrir les yeux.

Or les textes bibliques de ce dimanche connectent ces trois mots : Christ, Gloire, Espérance, dans un contexte qui peut paraître étonnant, celui de deux repas. Abraham offre l’hospitalité à trois mystérieux visiteurs d’abord présentés au singulier : « Aux chênes de Mambré le Seigneur apparut à Abraham ». Bien plus tard, Jésus accepte l’invitation de Marthe et Marie. Il bénéficie de la générosité du service de Marthe et il loue l’apparente passivité de Marie. Celle-ci s’intéresse à « autre chose », « la seule qui soit nécessaire » dit-il, et qui ne semble pas bien définie, … du moins : pas encore !

Mais comment comprendre vraiment la parole de Jésus si l’on abstrait ces deux textes de l’ensemble de la révélation, notamment à propos des conditions naturelles de la vie ?

Le Dieu vivant a créé la vie. Or aucun vivant ne subsiste sans échange d’énergie, sans nourriture. En outre, il y a une gradation entre les vivants, des végétaux aux animaux et à l’homme. Les animaux se nourrissent. L’homme mange ! En se distançant des êtres inférieurs, il participe à la révélation du projet de Dieu, implicite à travers le monde créé. Progressivement il apprend à partager, à pratiquer l’hospitalité, à découvrir la culture de la table.

Et comme si cette lente et longue évolution avait été destinée de toute éternité à nous révéler autre chose, la parole biblique vient y ajouter une lecture progressivement élaborée. Elle culmine avec le Christ qui, après de nombreuses et prudentes approches, prend le risque de perdre des disciples en leur annonçant qu’il se donne lui-même en nourriture, pour une vie que la nature créée ne peut ni donner ni alimenter. Le sens de cette nourriture échappe au seul contexte de la table et du service, mais il se révèle quelque peu à Marie qui “boit les paroles” de la Parole incarnée.

Sans savoir précisément ce que Dieu réserve à sa contemplation, Marie exerce ici la vertu d’Espérance. Car, si le croyant pense savoir, plus ou moins, ce qu’il espère, il recevra finalement toujours bien plus qu’il ne saurait demander.

Ainsi, la nourriture Eucharistique est le don le plus inattendu, le plus extraordinaire, inconcevable. Aucune religion au monde n’a jamais osé imaginer une chose pareille. Le Christ, au terme de la Révélation, nous en livre le mystère. Nous sommes censés savoir ce que signifie « manger son Corps ». Mais jamais notre nature humaine ne pourra comprendre sur terre la grandeur, la majesté, le mystère de l’Eucharistie. Bref, ce qu’elle sera quand nous la comprendrons, c’est le mot biblique « Gloire » qui le dit le mieux.

Saint Paul aurait pu écrire aux Colossiens : Dieu, Lui qui se nomme « Javeh » est au milieu de vous, avant de poursuivre « le Christ est au milieu de vous, lui l’espérance de la gloire ».

Chers frères et sœurs, participants de la Semaine Romande de Musique Liturgique, et vous tous qui vous dévouez au service liturgique de vos communautés, loin de vous avoir oubliés en relisant les textes bibliques de cette messe, j’ai pris un plaisir croissant à redécouvrir la beauté de votre vocation.

Par rapport à un don aussi inouï que l’Eucharistie, il n’est pas exagéré de dire que « rien » ne sera jamais trop beau, trop grand, ou trop généreux pour l’approcher, pour le présenter, pour le fêter.

Cela nous concerne tous, certes, quels que soient nos ministères, nos états de vie ou nos vocations. Mais la perspective est si grande que tous nous avons besoin d’être accompagnés, encouragés, entraînés à voir l’invisible ou au moins à le deviner, un peu comme Marie. Parmi tous les fidèles, ceux que l’Église associe de plus près à cette mission par leurs talents les plus variés peuvent être regroupés sous le terme général de « liturgiques ».

Je ne veux donc pas les énumérer, d’autant plus qu’il serait faux d’établir une hiérarchie de mérite entre les divers services. Pour faire bref, disons qu’il peut y avoir plus de dignité dans la manière d’éteindre un cierge que dans l’art d’un organiste ou l’éloquence d’un prédicateur, suivant que le geste vient de l’abondance du cœur ou non.

En vous disant, aujourd’hui spécialement, la reconnaissance du célébrant, de tous les célébrants des « Eucharisties » de par le monde, je vous dis la gratitude de toute la communauté ecclésiale. Car chacun, à sa place, bénéficie de l’apport des autres. Qu’il s’agisse de la Messe ou de toute autre célébration liturgique, sachant que l’Eucharistie en est la source et le sommet, dans chacune de vos interventions « liturgiques », vous incarnez à la fois Marthe et Marie. Vous répondez aussi à l’attente de l’Église en Europe, à laquelle Jean Paul II a lancé l’an dernier un appel marqué, à chaque page de son « Exhortation apostolique », par l’Espérance.

« En retournant au Christ, les peuples européens pourront retrouver l’espérance qui seule donne une plénitude de sens à la vie », écrit-il et il ajoute qu’avec « les yeux de la foi, nous devenons capables de voir la présence mystérieuse de Jésus », autrement dit « sa Gloire », « dans les divers signes qu’il nous a laissés » en particulier l’Eucharistie et « les autres actions liturgiques que l’Église célèbre en son nom » .

À la reconnaissance, il faut ajouter les encouragements dont vous avez besoin de la part des Communautés locales et de l’Église universelle, des fidèles et aussi des Pasteurs. Mais quel encouragement serait plus crédible que le partage de la foi que j’explicite ainsi ? … :

Dieu n’a pas seulement exercé une patience pédagogique pour préparer son peuple à l’accueil du Messie et en particulier du don de celui-ci sous la forme de l’Eucharistie. Mais il continue de patienter pédagogiquement. De patienter avec un amour paternel quand nos moyens artistiques ne sont pas à la hauteur de notre désir et de notre espérance. De patienter pédagogiquement en nous demandant avec insistance de persévérer car « rien » n’est jamais trop beau, trop bon, trop généreux pour aider son Peuple à cheminer vers la révélation de sa gloire en plénitude.

Permettez-moi de confier les vœux que je vous adresse aujourd’hui à une image dont vous pourriez faire votre idéal. Dans la basilique St-Pierre du Vatican, un monument qui met en valeur le seul vitrail du sanctuaire est appelé « la gloire du Bernin ». Il n’est destiné qu’à manifester la foi dans la présence de l’Esprit Saint.

Pour manifester parmi nous le Christ présent parmi ceux qui sont réunis en son nom, le Christ liturgique et, au sommet, le Christ Eucharistique, … nous avons besoin non pas de la gloire du Bernin, mais de la gloire de nos chorales, de nos musiciens, de nos fleuristes, de nos sacristains, de nos lecteurs, et j’en oublie. Que l’avenir des semaines romandes de musique liturgique soit long et fécond et que leur rayonnement encourage tous les autres serviteurs de la liturgie afin qu’ils soient toujours plus dignes et beaux au service du Christ, espérance de la Gloire.

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