Messe du 14e dimanche ordinaire

 

 

Frère Bernard Bonvin, OP, au Monastère des Dominicaines, Estavayer-le-Lac, le 4 juillet 2004.

Lectures bibliques : Isaïe 66, 10-14; Galates 6, 14-18; Luc 10, 1-10

Frères et soeurs bien-aimés,

Dans sa prière, Jésus demande au Père des moissonneurs pour sa récolte ! Surprenant ! Dieu ne pourrait-il moissonner tout seul ? Et qui sont donc ces moissonneurs invités à engranger la moisson du Seigneur ? Luc mentionne « soixante-douze  » disciples ; l’Évangile est destiné au monde entier. Alors que le nombre de « 12 » apôtres renvoie aux 12 tribus d’Israël, les « 72 » disciples évoquent la multitude des peuples de l’univers recensée aux premières pages de la Bible. Luc s’adressant à des hommes et des femmes dont la plupart n’étaient pas juifs, montre le souci d’affirmer que la Bonne Nouvelle est pour tous et toutes.

D’emblée, un point requiert notre attention : Jésus ne recherche pas des semeurs mais des moissonneurs. Les disciples, aujourd’hui nous pourrions parler des baptisés, ne sont pas d’abord envoyés jeter la semence dans les sillons pour qu’elle germe en beaux épis dorés. Non ! leur mission est de moissonner… C’est à la fois réjouissant et déconcertant ! Moissonner là où d’autres ont semé ! Est-ce même légitime ? Pour nous autres un peu calculateurs, cela paraît trop facile : mais pour qui tout est grâce, pour Dieu, cela est juste et bon !

L’évangile n’émet pas de réserves mais des conditions. Premièrement, ces journaliers ne doivent rien emporter selon Luc, ou un bâton, des sandales et une seule tunique selon Marc. Les divergence entre Marc et Luc nous indique que les consignes de Jésus ne sont pas une lettre figée mais un esprit à garder.

Si nous partons moissonner là où nous n’avons pas semé, en d’autres termes si nous allons à la découverte de ce qu’a fait Dieu parmi nous, la modestie est de rigueur : on n’avance plus en propriétaire conquérant ; on ouvre ses mains pour accueillir. Cette modestie relève d’un enracinement intérieur qui nous donne de nous contenter de peu. Pour moissonner dans le champ du Seigneur, inutile de réunir pléthore de moyens.

Que s’agit-il de recueillir ? Ce qui dans le monde outrepasse mes sécurités, mes théories sur les valeurs, sur ce qui rapporte ou non : il faut recueillir les fruits de l’Esprit. Il souffle où il veut, il est au travail chez les juifs et chez les païens, en l’homme et en la femme, dans l’esclave et l’homme libre. Si je suis suffisant, comment percevrais-je la bienveillance gratuite, la bonté, l’esprit de justice, de paix et de vérité qui font parfois battre, au rythme de Dieu, le cœur d’hommes et de femmes, même faibles, vaincus ou pécheurs. Pourtant ce sont ces fruits là qu’il faut déceler et contempler, car eux seuls changent la face de la terre.

Cette moisson qui ressemble à une mission comporte une deuxième condition. Aller deux par deux ; certes, la jurisprudence du temps impliquait la présence de deux personnes pour un témoignage crédible. Mais la tradition chrétienne esquisse une explication plus savoureuse : pour moissonner les fruits de l’Esprit, il faut expérimenter l’un d’eux qui les récapitule tous, l’amour fraternel. Et pour cela, il faut être deux, l’un pour aimer et l’autre pour être aimé, et vice-versa. La moisson est affaire de communauté et non d’accumulation individualiste de profits. En allant deux ensemble, dans les villes et les villages, pour applaudir les actions de justice et de paix, de vérité et de charité qui chassent ces mauvais esprits qui nous enchaînent ou nous divisent, que de guérisons à l’horizon !

Nous gémissons parfois sur nos médias qui s’attardent sur le spectacle des catastrophes ou sur du futile et de l’insignifiant. C’est hélas ! souvent ce que nous attendons d’eux. « Je pense que le Monde ne se convertira aux espérances célestes du Christianisme que si préalablement le Christianisme se convertit (pour les diviniser) aux espérances de la Terre » (Teilhard de Chardin, Pékin, 9 octobre 1936). La mission du baptisé est de recueillir ce que Dieu, fidèle à sa création, continue de susciter dans le monde. Cette moisson-là a fait la joie des « 72 » disciples à leur retour, comment ne ferait-elle pas la nôtre aujourd’hui ?

En conclusion, pour le court terme et le pratico-pratique, je vous propose deux conduites. A l’entrée d’une nouvelle semaine pour chacune/chacun de nous, comme les 72 disciples, prenons ou recevons les consignes du Seigneur. Je vais rencontrer un tel, une telle, comment Toi, Seigneur Père de de l’univers, les regardes-tu ?

Au terme de la semaine, dimanche prochain, après avoir été attentif à ce qui promeut la bienveillance, le vrai, le juste, revenons joyeux pour célébrer Dieu, parce que nous aurons expérimenté que « son règne se fait proche » de nous.

 

 

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