Abbé Jean-Marie Nusbaume, à l’église St-Pierre, Porrentruy, le 27 juin 2004.
Lectures bibliques : Actes 12, 1-11; 2 Timothée 4, 6-8. 17-18; Matthieu 16, 13-19 |
Quand j’entends les textes de la Parole de Dieu de ce jour, je ne peux m’empêcher de faire mémoire de la rencontre nationale des jeunes catholiques suisses il y a 3 semaines à Berne.
Comme en écho à la confession de foi de Pierre, comme en écho au témoignage de l’apôtre Paul, j’entends la voix du pape dire aux jeunes l’essentiel de la foi :
« Le christianisme est une personne, une présence, un visage : c’est Jésus, qui donne sens et plénitude à la vie de l’homme ».
Toute la foi consiste à s’attacher au Christ, à suivre le Christ, à écouter le Christ. Et pour cela, il faut accepter de désarmer devant Lui. Il faut accepter de le laisser nous désarmer par son appel, par ses interrogations, par son regard, par sa présence.
C’est l’expérience de Pierre face à la question posée aux disciples :
« Pour vous qui suis-je ? ». Question désarmante, car elle oblige à aller au-delà du conventionnel, du passé, des « on dit que »… Elle oblige à s’engager devant l’autre : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». Sans doute Pierre ne mesure-t-il pas toute la portée de sa réponse ? Peu importe. Ce n’est pas de lui-même qu’il parle, c’est le Père qui lui a révélé l’identité de Jésus et qui se fait entendre à travers la voix du disciple.
Et plus tard, après la multiplication des pains, quand tous s’en vont parce que les paroles de Jésus sont trop dures, trop difficiles à accepter, une nouvelle fois survient la question de confiance aux disciples: « Voulez-vous partir vous aussi ? » ; une question qui désarme, car elle oblige à faire la vérité pour ouvrir l’avenir. Et à nouveau, c’est Pierre qui s’exprime : « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ? »
Autrement dit, nous reconnaissons Seigneur que tu es Celui et le Seul qui donne sens à notre existence et l’ouvre à l’avenir de Dieu.
Et au moment de la passion, Pierre devra accepter de se laisser faire, de se laisser laver les pieds par le maître et le Seigneur. Puis, il faudra encore qu’il se laisse désarmer par le regard du Christ qu’il vient de renier. Car il comprend qu’il n’y a plus que ce regard pour lui permettre de ne pas sombrer.
Enfin après la résurrection, quand le Christ l’interroge par trois fois : « M’aimes-tu ? », Pierre s’écrie : « Seigneur, tu sais bien que je t’aime. »
Ultime désarmement qui consiste à accepter d’aimer le Seigneur avec ses faiblesses, ses défaillances, ses ombres et accepter la confiance de Jésus… pour pouvoir Le suivre et remplir la mission confiée : être le roc sur lequel l’Eglise sera bâtie, devenir le berger des brebis… jusqu’au bout, jusqu’à ce moment où, devenu vieux, un autre lui mettra sa ceinture pour le conduire là où il ne voudrait pas aller.
Désarmer : telle est l’expérience Pierre et c’est aussi l’expérience de Paul.
Du chemin de Damas jusqu’à Rome où il rendra témoignage au Christ, il n’a cessé de lâcher prise pour que la grâce de Dieu puisse déployer toute sa mesure à travers sa prédication et son ministère, pour qu’il ne vive plus que du Christ.
Il en fait la confidence à son disciple Timothée quand il écrit au soir de sa vie : « Tout le monde m’a abandonné, lui le Seigneur m’a assisté »… »Il m’a rempli de force pour que je puisse jusqu’au bout annoncer l’Evangile et le faire entendre à toutes les nations païennes. »
A la suite de Pierre et de Paul, les autres apôtres, les disciples, les baptisés, les communautés chrétiennes et l’Eglise ont vécu la même expérience de foi.
Et nous aussi, nous avons à désarmer devant le Christ, c’est-à-dire :
lâcher prise sur nos certitudes, sur notre volonté de conduire notre existence comme nous le voulons, lâcher prise sur l’image que nous avons de nous-mêmes, des autres, du Christ, de Dieu… lâcher prise sur notre vie elle-même.
Ce n’est pas facultatif. Car Celui auquel nous croyons et que nous annonçons, c’est Jésus, Messie crucifié que Dieu le Père a ressuscité d’entre les morts pour nous donner la vie.
Désarmer, c’est expérimenter la fidélité du Christ au cœur de nos défaillances, de nos lâchetés et reconnaître en Lui le Fils du Dieu vivant, Celui et le Seul qui nous donne la vie de Dieu.
Désarmer, c’est s’attacher au Christ, le regarder et l’accueillir comme le porteur de l’avenir de tout homme et de l’humanité.
Désarmer, c’est dans la faiblesse due à l’âge, à la maladie, au handicap, à l’infirmité, reconnaître et accueillir la puissance de vie du Christ ressuscité…
Car, c’est dans la faiblesse que se déploie la toute-puissance de Dieu et que c’est quand nous sommes faibles qu’alors nous sommes forts.
L’Eglise, je le crois, peut se passer de la force, de la santé, de la vitalité physique de ses membres. Elle ne peut se passer de la foi au Christ.
Elle ne peut se passer de la Parole du Christ.
Elle ne peut se passer de la présence du Christ.
Elle ne peut pas se passer de la foi au Christ du successeur de Pierre, puisque sa mission est de confirmer ses frères dans la foi.
Et si c’était cela le témoignage dont l’Eglise et le monde ont besoin de la part du successeur de l’apôtre Pierre : continuer d’être dans la faiblesse, celui à travers lequel le Christ nous interroge « Pour toi qui suis-je ? »; celui à travers lequel, à la suite de Pierre, tous peuvent dire, jusqu’à leur dernier souffle : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».
A la suite des premiers apôtres et de tous les disciples de Jésus qui acceptent, depuis 2000 ans, de désarmer devant le Seigneur, de s’attacher à Lui et de se lever pour être ses témoins, permettez-moi, en conclusion, comme un appel pour nous aujourd’hui, de reprendre les paroles de cette hymne composée par des jeunes et chantée à Berne les 5 et 6 juin :
« Au milieu de la nuit, une lumière a resplendi, celle du Christ venu nous donner vie.
Dieu a visité son peuple accablé. Par son Fils, il nous a relevés.
Il nous invite aujourd’hui à marcher à sa lumière, à lui dire notre oui
pour qu’il nous montre le chemin.
Levons-nous et saisissons la main du Seigneur…
levons-nous et marchons sous sa lumière. »