Chanoine Claude Ducarroz, cathédrale St-Nicolas, Fribourg, le 17 juin 2007 Lectures bibliques : 2 Samuel 12, 7-13 ; Galates 2, 16-21; Luc 7, 36-50; 8, 1-3 – Année C |
Encore une histoire de femme !
Eh ! oui, il y en a beaucoup dans les évangiles. Car Jésus aimait rencontrer des femmes. J’en veux pour preuve la fin de l’évangile d’aujourd’hui. A côté des 12 apôtres, Jésus était accompagné par de nombreuses femmes dont quelques unes sont même signalées par leur nom.
Dimanche dernier, nous avons rencontré la veuve de Naïm dont le fils unique a été rendu à la vie et à sa mère par Jésus, touché de compassion.
Aujourd’hui, c’est une toute autre ambiance. Plus glamour, diraient certains. Un notable pharisien nommé Simon. Un banquet pour VIP, avec des convives de choix. Et puis tout à coup, celle qu’on n’attendait pas, une intruse qui jette un froid et casse l’ambiance : une pécheresse. Traduisons : une prostituée bien connue dans la ville.
D’ailleurs elle n’a pas non plus cherché à le cacher. Elle a les gestes du métier : le parfum versé, les baisers donnés, les cheveux déployés sur les pieds de Jésus pour les essuyer. Si l’on s’en tient aux apparences, tout semble clair : une vraie scène de séduction.
Alors, où se cache la différence ? Dans les yeux, ou plutôt dans les regards et tout ce qui s’en suit.
Pour Simon, le jugement est immédiat et définitif : « Ce qu’elle est : une pécheresse ». Un point, c’est tout. Une femme méprisée parce que réduite à son indignité.
Pour Jésus, parce que son regard rejoint le cœur de cette femme –et pas seulement son corps-, tout est différent : « Elle a montré beaucoup d’amour ». Ce regard intérieur et libre opère alors des miracles. Parce qu’il est porteur d’un amour pur, gratuit, brûlant de miséricorde, il transfigure la manière de voir et la manière d’être de tous les convives.
A commencer par Simon. « Tu vois cette femme ». Justement, il doit la voir autrement. Pas comme un objet de plaisir vénal, encore moins comme un instrument d’impureté ou de péché, mais comme une personne capable d’amour sincère et chaste.
La femme, bien sûr. Sous le regard neuf de Jésus, elle voit sa vie changer de couleur et de direction. Elle est pardonnée. Elle est reconnue dans sa foi. Elle peut – enfin – s’en aller en paix. Une autre femme est née, re-née, ressuscitée.
Enfin les autres convives. Ils portent sur Jésus lui-même un autre regard, étonné, émerveillé. « Qui est cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés ? » Ils sont différents. Ils marchent à l’orée de la foi, sous le bienheureux scandale de l’amour de Jésus.A partir de cet évangile, il y aurait beaucoup à dire.
Je pense aux regards que les hommes portent sur les femmes dans notre société. J’ose le dire – mais là ce sont les femmes qui doivent aussi se remettre en question – à la saison des déshabillés toujours plus largement exposés. L’exploitation des femmes a encore – hélas !- de beaux jours devant elle. Personne n’a le droit de se résigner à nos dérives pornographiques, à la sexualité commerciale.
Mais il y aurait aussi des choses à dire dans notre Eglise, dans nos Eglises, sur les ministères occupés par des femmes. Et notamment sur la mentalité spontanée que nous manifestons – pas toujours à la bonne hauteur de l’Evangile – quand nous envisageons leurs fonctions dans nos communautés d’Eglise. Les femmes sont si utiles, n’est-ce pas ? Mais sont-elles assez considérées, respectées, appréciées ? Très concrètement aujourd’hui, en ce dimanche consacré aux réfugiés, comment les regardons-nous ? A la table helvétique – bien garnie, il faut le reconnaître -, voici qu’arrivent des hommes, des femmes, des enfants non-invités, non prévus, non-bienvenus.
Si nous empruntons le regard d’amour du Christ, qui transperce tout ce qui est superficiel, nous devons dépasser les apparences, transcender les différences, tordre le cou aux préjugés, trouver ou inventer les chemins de la découverte en sympathie, aller jusqu’à la rencontre et au partage.
Sommes-nous des « Simon le pharisien » qui jugent et qui rejettent ? Ou sommes-nous des chrétiens – de celles et ceux qui réagissent comme le Christ -, qui montrent de l’amour au lieu de distiller de l’exclusion ?
« Tu vois ces réfugiés », nous dit Jésus aujourd’hui. Justement, comment les voyons-nous ?