Cardinal Henri Schwery , à l’église de St-Léonard, VS, le 17 mai 2007 Lectures bibliques : Actes 1, 1-11; Luc 24, 46-53 – Année C |
Chers frères et sœurs,
Il y a 15 ans, au soir de l’Ascension – le 28 mai 1992 – la Télévision Suisse Romande transmettait des interviews de quelques jeunes filles. Qu’est-ce que l’Ascension pour elles ? – «un jour de congé !» – dit l’une. «Mais en quel honneur ?» – demande-t-on encore – «Fête du travail ! …non ?» – répond une autre adolescente. C’étaient des chrétiennes. De confession catholique ou protestante, je ne sais pas. Peu importe, d’ailleurs. L’évidence qui s’impose c’est que la culture chrétienne dans les pays industrialisés s’est réduite à un vernis de plus en plus superficiel, pour une forte majorité des Européens en tout cas. De ce point de vue du moins, la rédaction de la Constitution européenne qui n’évoque pas ses racines culturelles chrétiennes est assez réaliste.
Mon propos n’est pas d’en esquisser une explication. Ni de juger qui que ce soit et d’en chercher des responsables. Nous sommes en effet rassemblés, dans cette église paroissiale de St-Léonard. Nous nous savons unis dans une communauté beaucoup plus vaste avec les auditeurs de la Radio Suisse Romande. Mieux encore, au cours de cette journée, plusieurs centaines de millions de disciples de Jésus font mémoire de leur Seigneur. Avec eux nous sommes donc unis en Lui et par Lui. Ce sont des «personnes» qui sont concernées : Jésus, c’est «quelqu’un» et non une doctrine ou un programme. Tous ceux qui nous ont précédés sur terre et qui nous entourent en esprit et en vérité, ce sont encore et toujours des personnes.
Par conséquent, entre nous – dans la grande Communion des Saints – et pour nous, afin que notre foi et notre espérance ne s’émoussent pas, posons-nous quelques questions, non pas pour faire bonne figure dans des sondages, mais pour nous enraciner plus fortement dans la vérité, dans la vie, dans l’amour.
Il s’agit en effet d’amour, puisqu’il y a rencontre interpersonnelle. Je le répète : lorsqu’il y a rencontre, vraie, entre personnes, le chantier de l’amour est ouvert.
Au lieu de répéter encore une fois autrement cette petite phrase et pour la rendre moins abstraite, remplaçons-la par l’évocation d’un événement plutôt banal : le souper en tête à tête d’un couple, le soir du 17ème anniversaire de son mariage. Deux personnes, de l’amour, une rencontre !
J’en vois parmi vous qui sourient. Est-ce à cause du nombre 17 ? Pensez-vous que si j’avais dit le «2ème» anniversaire de mariage, c’eût été plus éloquent ? – parce que plus proche de la première rencontre entre amoureux ? Et si je voulais sourire à mon tour, j’évoquerais l’épouse qui a préparé pour ce soir-là une surprise – un repas festif – elle a orné la table, disposé une nappe, acheté des fleurs. Si d’aventure le mari, passablement distrait, rentre enfin et demande «qu’est-ce qui se passe ?»,… – je le trouve très ressemblant avec les jeunes filles à qui l’on demandait «qu’est-ce que l’Ascension ? » Mauvaise question !
Entre amoureux, le pronom interrogatif ne doit pas être QUOI, mais QUI ? de qui s’agit-il ?
Quand des amoureux parlent de «coup de foudre», ils ne pensent pas à quelque chose, mais bien à quelqu’un dont la rencontre a transformé leur vie. Avec le temps, l’événement s’estompe, mais l’effet demeure.
Dieu est Amour. Il a créé l’être humain à son image, capable d’amour. Tout événement, si banal soit-il, s’explique par le concours de divers facteurs de la nature, créée par Dieu. Et certains de ces événements ne sont pas banals du tout. Ce sont ceux qui nous ont profondément marqués. Au point d’avoir changé ma vie ! Il convient donc de distinguer deux choses, que j’appellerai : «l’événement» et «le mystère».
Chers frères et sœurs, nous célébrons la fête de l’Ascension, c’est-à-dire deux choses : un événement et un mystère.
L’événement mérite une célébration festive, car il est extraordinaire. Historiquement, le Christ est mort, supplicié sur la croix puis enseveli. Moins de deux jours plus tard, le tombeau est vide. Notre nature humaine nous fait demander OÙ est-il ? – et nous n’y aurons jamais de réponse satisfaisante, car l’événement n’est pas naturel, et donc la question mal posée. Demandons plutôt QUI est-il donc ? – et les témoins rapportent : il est Celui que Marie-Madeleine n’avait pas vu de ses yeux de chair, puis reconnu avec les yeux du cœur; il est Celui qui a rompu le pain avec deux disciples à Emmaüs, etc. Ce n’est pas un simple souvenir, ce n’est pas un fluide ou un nuage. C’est le Ressuscité qui se fait reconnaître par des êtres humains mortels. Une fois reconnu, il demeure en nous et parmi nous, tout en se trouvant dans la plénitude d’union en Dieu où il est rentré avec son humanité. Pâque et l’Ascension – distantes pour nous de 40 jours – ne font qu’un seul événement : la mort est vaincue par une vie qui s’achève en Dieu. Voilà l’événement.
Et le mystère ? – précisons tout d’abord le sens du mot. En bonne théologie, le mystère n’est ni un secret, ni une cachotterie. Il ressemblerait plutôt à un «coup de foudre amoureux». J’adopte la définition que j’ai entendue d’un pasteur protestant prêchant à la Radio Suisse Romande, il y a une quarantaine d’années : «Le mystère c’est une action de Dieu qui atteint l’homme». Comme un coup de foudre, un événement qui a changé ma vie. Je le sais, en effet : désormais la mort n’est plus qu’une porte à franchir, comme candidat à la Résurrection, pour pénétrer comme personne humaine, dans une plénitude de vie, de bonheur et d’amour, en Dieu où le Christ a déjà sa place avec sa nature humaine.
Pour illustrer cette vérité essentielle, j’aurais pu prendre un exemple profane plus évident dans la vie quotidienne : un accident, c’est un événement. Si l’accidenté demeure paraplégique, il dira que l’événement a changé sa vie, pour toujours. Et toujours, ça dure longtemps ! D’où une certaine érosion du souvenir. Un peu comme dans la tête du mari après 17 ans de mariage. Mais l’image de l’accident, frères et soeurs, oubliez-la immédiatement, car rien de négatif ne peut nous atteindre de la part de Dieu.
Je préfèrerai que vous reteniez l’exemple des anniversaires de mariage. D’abord parce qu’il s’agit d’amour, donc d’un don de Dieu. Et ensuite parce qu’il vous rappellera peut-être que si le mystère de l’amour humain atteint le cœur au point de changer nos vies, ce mystère, comme celui de l’Ascension, a tout de même besoin qu’on se rafraîchisse la mémoire.
Pour les mystères de la foi, sachons donc cultiver les signes festifs, en communauté, dans la prière, sans nous gêner d’en porter témoignage dans nos milieux de vie et sans fausse pudeur devant les médias. Que l’on n’en reste pas à un vernis superficiel qui tienne lieu de culture chrétienne douteuse. En un mot, sachons pratiquer la vertu de Religion.
Amen