Messe de la Pentecôte

 

 

Abbé Gilbert Perritaz, à l’Etablissement médico-social d’Humilimont, Marsens, le 4 juin 2006
Lectures bibliques : Actes 2, 1-11; Galates 5, 16-25; Jean 15, 26 – 16, 15 – Année B

Chers Frères et Sœurs,

« Vidées de leur sens premier, les fêtes chrétiennes sont désormais synonymes de vacances et de jours fériés. Liées à la foi chrétienne, ces fêtes sont pourtant une façon de rythmer l’année, les saisons, de sacraliser le temps, une perception balayée par la sécularisation galopante de la société », écrit le savant jésuite Pierre Emonet.

Hier au soir avant de célébrer la messe, je demande aux deux enfants de chœur : c’est quoi la Pentecôte. L’un me dit : « c’est la fête de l’EMS d’Humilimont » et l’autre : « c’est la bénédiction des bateaux du Lac de la Gruyère ». Leurs réponses, justes par ailleurs, ne m’ont pas étonné et je me souviens de l’émission télévisée où l’on posait la question à 3 médecins. Qu’est ce que la Pentecôte ? « C’est l’approche des beaux jours », dit le premier, « c’est une fête qui me rappelle un oiseau » et le troisième : « c’est l’époque où ma femme va acheter ses robes et habits d’été ».

C’est vrai qu’il est difficile de donner une définition du Saint Esprit. Il est plus facile de l’appréhender à partir de son action.

Le Saint Esprit fut longtemps le grand oublié de l’Eglise. On se rappelle du rapport de la police genevoise, chargée de suivre l’Evêque Mermillod dans ses déplacements et ses prédications. De son homélie prononcée à Carouge pour la confirmation, le rapport est plus que bref. « Sermon insignifiant. Il n’a parlé que du Saint Esprit ».

Quelqu’un qui a redonné sa place à l’Esprit Saint, c’est celui qu’on a appelé le bon pape Jean XXIII. C’était un lundi de Pentecôte qu’il partit vers saint Pierre en 1963. Nonce à Paris, il disait qu’il n’y a que deux solutions possibles pour être un bon diplomate : « Après avoir invoqué l’Esprit, il faut ou bien être muet comme une taupe et une carpe, ou bien parler pour ne rien dire, être loquace au point que vos propos perdent toute importance. Etant donné que je suis italien, je préfère la deuxième méthode. »

Il racontait que le soir où il avait parfois de la peine à trouver le sommeil, après les soucis d’une journée où il avait avalé pas mal de couleuvres, il se disait « mais Giovanni, pourquoi tu ne dors pas, c’est toi le Pape ou bien le Saint Esprit qui gouverne l’Eglise ? C’est le Saint Esprit. Et bien Giovanni, oublie tes soucis ». Un jour, à l’improviste, il va visiter l’hôpital du Saint- Esprit à Rome, tenu par des religieuses.

La supérieure se présente en toute hâte : « Saint Père, je suis la Mère du Saint-Esprit ». Et le Pape de lui répondre : « Vous en avez de la chance. Moi, je ne suis que le Vicaire du Christ ».

D’autres se plaisent à souligner que notre monde est devenu comme un grand supermarché du spiritualisme, un arc-en-ciel d’opinions avec le bouddhisme qui fascine l’Occident, l’Islam qui fait parfois peur, les sectes qui ne sont pas toutes mais la plupart des escroqueries religieuses et culturelles.

Pentecôte à Jérusalem : ce jour-là, onze pauvres types, terrés de peur. Le Christ qui leur est apparu le jour de Pâques les a quittés depuis 10 jours, ne leur a pas donné de nouvelles.

Heureusement, Marie est avec eux, une présence réconfortante qui permet de patienter. Et puis soudainement un vent plus fort que tous les lothars du monde secoue leur torpeur et fait sauter les verrous de leur citadelle.
Chacun comprend leurs sermons sans qu’il ne soit besoin d’utiliser un dictionnaire.
Sans même qu’on s’oblige à assimiler les gens, à les habiller en bredzons, à leur faire apprécier la fondue ou à leur apprendre le patois gruyérien ou le « schwytzertüsch », chacun garde sa culture.
Une symphonie prend forme et s’amplifie. Chacun dans sa langue maternelle chante les merveilles de Dieu. L’Esprit de Pentecôte nous fait chanter aussi toutes les merveilles de la Création, non seulement à l’unisson, mais en polyphonie.

Au début du monde, dans ce laboratoire bouillonnant et chaud de la mer primitive, la vie apparaît : l’Esprit pleuvait sur les eaux, dit laconiquement la Bible.

Apparaissent les entités nouvelles prodigieusement complexes, les molécules regroupant plusieurs millions d’atomes, selon des motifs architecturaux d’une très haute complexité, des cellules vivantes qui contiennent chacune un ordinateur aux millions d’informations; cellules variées qui forment des organismes compliqués comme notre corps.

Et puis qui a brodé la robe du lys ? Qui a ajouré l’iris et l’orchidée ? Qui a repassé les pétales de la rose ? Qui a jeté, comme l’artiste sur la toile, les mille coloris des fleurs dans la verdeur des prairies, qui a affiné le dinosaure pataud, pour qu’il devienne un jour écureuil ou chamois ?

Puis un jour, la terre a vu apparaître l’intelligence d’un animal qui a soudain vu son cerveau se développer, qui s’est mis debout, et dont la main étonnante a façonné son environnement. Ainsi la terre n’est pas un chaos lunaire, et quand on la survole en avion, nous voyons que notre terre ruisselle d’esprit, par ses usines, ses cathédrales, les damiers jaunes des champs de colza, ses fusées spatiales.

Bien sûr que dans le monde, il y a des guerres civiles actives, des famines, des purifications ethniques; il y a même des guerres à cause de Dieu, des guerres entre religions qui sont insupportables. Mais l’Esprit, même s’il a les mains liées parce qu’il joue le jeu de la liberté accordée aux humains, est celui qui fait surgir l’aide humanitaire, les longues recherches internationales pour trouver des solutions pacifiques aux conflits. L’opinion publique qui condamne les atrocités et fait reculer les dictatures n’est pas seulement façonnée par les médias, mais est animée par l’action cachée du Dieu discret.

Enfin, parmi toutes les images de l’Esprit-Saint, c’est la colombe, qui est représentée sur cet autel qui a fait le bonheur des artistes et des peintres.

Cette colombe symbole de la paix qui annonce la fin du déluge avec son rameau d’olivier. Elle est signe de beauté, d’amour, du désir. « Comme l’hirondelle pépie, gémit la colombe », dit le prophète Isaïe.

Et comme l’Esprit a plus d’un tour dans son sac, il inspira, voilà 20 ans, les autorités de ce petit pays à ouvrir le home médicalisé où nous sommes aujourd’hui, situé dans un parc splendide aux arbres centenaires. Les résidents peuvent apprécier la tranquillité du lieu et les ballades des alentours. Le personnel est là pour prendre soin, réconforter un résident dans une angoisse passagère ou une fin de vie.

Un grand signe de la présence en nous de l’Esprit, c’est la paix. Même au milieu des pires ennuis, un chrétien peut parfois accéder à une sérénité déconcertante. J’assistais l’autre jour un vieil homme à la barbe blanche qui avait 42 alpages derrière lui. Il avait perdu sa femme il y a 10 ans. « J’en souffris beaucoup. Mais cette fois : je suis content de m’en aller, j’éprouve une telle paix que ça m’étonne. Je vous ai fait venir uniquement pour vous dire qu’avec l’Esprit Saint, je suis en paix et si ça va trop long, il faudra qu’on mette mon matelas sur le toit pour que Dieu me voie et ne tarde pas trop à venir me chercher ».

Il faut lui rendre hommage, à ce personnel, même si tout n’est pas parfait et que ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on quitte son chez soi pour ces Etablissements auxquels les infirmités et une longue vieillesse nous contraignent.

Le spirituel a sa part dans cette maison. La messe hebdomadaire est toujours bien fréquentée et animée grâce à l’animatrice pastorale. Et l’un de ses aumôniers, Monsieur l’Abbé Louis Pittet, décédé aujourd’hui, y laissera un grand souvenir.

Les églises se vident, mais beaucoup au fond de leur cœur sentent se réveiller en eux la cicatrice de Dieu, beaucoup gardent une croyance qu’ils n’osent pas exprimer, comme les deux pêcheurs en barque sur le Léman déchaîné : « Il faudrait peut-être commencer à prier », dit l’un, « oui » répond l’autre, « mais à condition que personne ne nous entende ou bien ne nous voit ».

« Je ne croyais pas en Dieu », disait un personnage de Pagnol au café du coin, « mais je ne le dis pas trop fort de peur qu’il m’entende ».

Il faut bien qu’il y ait quelqu’un en dessus de nous disent les plus sceptiques parmi nous. Non, Dieu n’est pas mort. Il est à l’œuvre dans le monde, comme il le fut le jour de la Pentecôte.

Quand je passe devant ce home d’Humilimont, je pense au petit prince de Saint Exupéry. « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».

Et voilà qu’à Marsens comme ailleurs, Pentecôte termine en apothéose le temps des fêtes pascales. La nature, les fleurs sont belles, des fleurs éphémères et fascinantes qui accompagnent les hommes et sont leurs dernières compagnes.

Une légende du moyen-âge, ce moyen-âge qui avait le sens de l’humour et du rire, disait que l’enfer était fermé durant les 50 jours qui séparent Pâques de Pentecôte. Lucifer et ses employés prenaient les congés annuels, les cuisines et les rôtisseries étaient refroidies. Et c’était pour les damnés une sorte de répit bienvenu. Heureuses les personnes qui mouraient pendant ce temps, elles étaient sûres de trouver un siège au paradis.

Et voilà que demain reviennent les jours ordinaires de la liturgie. Fini le temps joyeux de Pâques, mais l’Esprit de Pentecôte invite l’Eglise et nous-mêmes à poursuivre l’œuvre de Jésus qui nous est confiée ici-bas.

Bonnes fêtes à tous et à toutes.

Jean Gabin, le grand comédien, qui, parlant de ses 60 coups qui frappaient à l’horloge de sa vie, a laissé une constatation toute simple : « le jour où quelqu’un vous aime, il fait toujours très beau ».

Amen.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *