Abbé Pierre-Yves Maillard, à l’église Saint-Germain, Savièse, le 24 juin 2012
Lectures bibliques : Isaïe 49, 1-6; Actes 13, 22-26; Luc 1, 57-80 – Année A
J’ai vu un jour une image qui m’a beaucoup marqué. Sur un retable, à côté du Christ en croix, se tenait Jean Baptiste, désignant Jésus et portant un parchemin où l’on peut lire : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue » (cf Jean 3,30). Ce retable se trouve à Colmar, il a été peint par Matthias Grünewald au début du XVIème siècle. Il illustre à merveille combien toute la vie de Jean Baptiste se tient dans cette mission d’annoncer le Christ et de conduire à lui. Jean Baptiste, c’est celui qui se reçoit tout entier de sa relation avec Jésus.
Saint Augustin a donné un magnifique commentaire de cette relation unique de Jean Baptiste au Christ en développant le thème de la parole et de la voix. Jean Baptiste est la voix qui résonne un instant pour que la Parole de Dieu puisse être entendue toujours. « Veux-tu savoir comment la voix s’éloigne, tandis que demeure la Parole, dit Augustin ? Si je pense à ce que je dis, la parole est déjà dans mon cœur ; mais lorsque je veux te parler, je me sers de la voix. Puis le son s’évanouit, mais la parole est désormais dans ton cœur sans avoir quitté le mien ». Ne pas s’annoncer soi-même mais orienter vers Jésus, nous tenir dans ce lien où nous recevons la vie, mettre notre voix au service de la Parole, quelle belle vocation pour tout témoin du Christ, comme les petits chanteurs de ce matin !
Quand on arpente l’Evangile, on reconnaît ce thème de la parole et de la voix tout au long de l’existence du Baptiste. Dès avant sa conception, la parole de l’ange à son père Zacharie est tellement inouïe que celui-ci en devient muet lorsqu’il apprend que son épouse Elisabeth va concevoir un fils (cf Lc 1,20). La première prédication de Jean Baptiste est donc silencieuse, dans le sein de sa mère, accompagnée du silence de son père ébloui. Sans paroles, Jean Baptiste enseigne que la vie, dans l’histoire du salut, apparaît toujours précisément là où elle semble impossible, chez les vieillards, les stériles, ou les enfants et les tout petits. Nous venons de chanter, dans le Psaume 8, que la louange qui monte le plus haut dans le ciel est celle qui s’élève du plus bas, de la bouche des enfants qui ne savent pas parler. En cette « messe des familles », nous rendons grâce à Dieu avec vous, parents, enfants, et nous prions pour que toutes les familles du monde puissent s’émerveiller du don de l’attente, d’une naissance, de toute vie. Quand on attend quelque chose, on attend toujours quelqu’un. Et quand on attend quelqu’un, on attend tout, on attend Dieu.
Dans la suite de l’Evangile, il prêche encore et il annonce le Christ avant de naître, Jean Baptiste, toujours sans paroles mais par son tressaillement, lorsque sa mère reçoit la visite de sa cousine Marie (cf Lc 2, 39-56). A cet instant, Elisabeth proclame que Marie est bénie et que le fruit de son sein est béni. Des fruits, dans la Bible, on en avait déjà vu, et ils n’avaient pas tous laissé de bons souvenirs. Celui de l’arbre de la Genèse avait plutôt un goût amer ! Quand Elisabeth proclame que le fruit de Marie est béni, elle prend donc parti dans un ancien débat. Elle a l’audace de croire qu’un nouveau commencement est toujours possible. Un fruit, au début, cela peut être bon, et d’autres histoires peuvent naître qui conduisent à la vie. Et voilà un second aspect de la prédication silencieuse de Jean Baptiste, cette voix qui se tait pour que grandisse la Parole : conduire à la confiance et à l’audace, croire que le meilleur est toujours à-venir.
En ce début d’été, temps de récoltes et de repos, nous sommes heureux de prier en famille pour que les fruits de ces vacances soient bons et savoureux, termes d’une attente et promesses d’autres dons à venir.
L’annonce de Jean Baptiste, nous le savons, ira jusqu’à la mort. Jusque dans le don apparemment absurde et inutile de sa vie, il sera le « pré-curseur », celui qui « court en avant » pour « préparer le chemin du Seigneur » (cf Mc 1,3). Mais avant ce témoignage ultime, la vie du Baptiste se sera déployée patiemment dans le prolongement de son enfance. Dans l’Evangile de ce jour, nous avons entendu comment le Baptiste reçoit son nom, écrit par Zacharie sur une tablette : « Son nom est Jean » (cf Lc 1,63).
Il y a à Sion, au Collège de la Planta, un mur extérieur sur lequel les noms de tous les élèves présents lors de la rénovation du lycée ont été inscrits. Et je me souviens d’une messe de Noël, dans ce collège, où notre évêque Mgr Norbert Brunner était parti de cette liste de noms pour méditer sur la question des gens du voisinage, au terme de notre évangile : « Que sera donc cet enfant ? » (cf Lc 1,66). Voilà une question que vous vous posez sans doute souvent, vous les parents : que seront donc vos enfants, sur quels chemins pourrez-vous les accompagner, quelle sera leur façon de mettre leur voix au service de la Parole ? Le mystère de chaque vocation est immense. Chaque homme, nous le croyons, est appelé à prononcer sur Dieu, par sa vie, une parole unique et irremplaçable, comme est unique chaque visage. Jean, cela veut dire : « Dieu fait grâce ». Par son nom et son baptême, Jean témoigne que Dieu fait grâce à tout homme. Demandons alors cette grâce au Seigneur d’annoncer à notre tour que Dieu est présent dans ce monde en croissance, vivant en toute vie qui l’accueille, fragile, inespérée, bien réelle. Quand Dieu donne, il donne encore.