Messe de la fête du Christ Roi

 

Père Jean-René Fracheboud, le 23 novembre 2008, au Foyer des Dents du Midi, Bex
Lectures bibliques :
Ezéchiel 34, 11-12.15-17; 1 Corinthiens 15, 20-26.28; Matthieu 25, 31-46 – Année A

Chers frères et sœurs, Chers amis,

Aurions-nous égaré notre boussole ?
           
Où va notre monde ?
Où va l’économie ?
Où va la politique ?
Où va l’Eglise ?
Où vont nos vies ?

Sans nécessairement tomber dans un pessimisme amer, beaucoup de choses et d’événements nous amènent à penser que le monde d’aujourd’hui est un peu perdu, déboussolé.
On avait misé sur la science, les progrès techniques, les avancées du génie humain. Or, on constate que la science, bien qu’ouvrant des perspectives magnifiques, pose aussi d’énormes questions et fait parfois planer de lourdes menaces sur l’avenir de l’humanité.

On avait misé sur des systèmes politiques qui devaient apporter au monde, à défaut du salut, un « mieux être », un « plus » de vie, de justice, de paix. Les empires communistes se sont écroulés ! Les systèmes libéraux bâtis sur la loi du marché et des finances sont en train de vaciller…

Aurions-nous égaré notre boussole ?

J’emprunte une image à un homme que j’aime beaucoup, Teilhard de Chardin. Il a été à la fois un homme de science et à la fois un grand théologien, un spirituel, un mystique. Je le cite de mémoire. Il nous parle d’un navire sur la mer.
Les hommes vivent à la fois dispersés et fermés sur eux-mêmes comme des passagers accidentellement réunis dans la cale d’un navire.
Enfermés dans leur nuit, leur immobilisme, ils n’ont nullement le sentiment d’être sur un navire en mouvement, en pleine mer.
Dans leur enfermement, à fond de cale, ils ne conçoivent rien de mieux à faire que de se disputer et de se détruire. Il faudrait que, par chance, l’un d’entre eux ou quelques-uns, un petit groupe, les plus hardis ou audacieux gagnent le pont et fassent l’expérience bouleversante, libératrice :

            Découvrir qu’ils sont sur un bateau.
            Qu’ils sont en route vers une destination
            qu’ils aperçoivent l’écume au fil de la proue. 

Ils prennent alors conscience qu’il y a une chaudière à alimenter et un gouvernail à tenir. Ce n’est plus l’agitation humaine sur place. Ce n’est plus la dérive, mais c’est le voyage ! L’enjeu est bien là : sortir d’un enfermement pour découvrir un sens, une direction, une orientation.
Peut-être que l’humanité d’aujourd’hui est encore trop à fond de cale et qu’elle ne respire pas assez le grand air de la liberté. Il nous faut retrouver une boussole, un sens, un dynamisme, un « vers quoi » ou un « vers qui » aller. Il nous faut trouver des poètes et des prophètes qui nous fassent monter sur le pont, humer l’air des îles et pressentir le parfum d’un horizon de lumière.

La fête du Christ Roi, point d’orgue de toute l’année liturgique, voudrait nous remettre devant cette extraordiaire perspective d’un accomplissement. Notre monde n’obéit pas à des forces aveugles mais il est habité par un grand, un immense projet d’amour.

Ce roi, dont il est question, n’a rien d’un monarque, décoré de puissance et de médailles. C’est le Christ, libre de tout avoir et de tout pouvoir, qui est venu rejoindre l’homme pour lui révéler sa grandeur, sa noblesse, sa royauté, ses ressources de tendresse, de justice et de paix.
Il est allé jusqu’à l’extrême du dépouillement sur la croix – son unique trône – pour sceller cet amour sauveur et vainqueur. Il est ressuscité et il nous communique cette force d’aimer, son Esprit Saint qui nous ouvre l’espace de la  liberté.

A nous d’être maintenant sur le pont ! A nous de prendre nos responsabilités pour faire avancer le bateau « humanité » vers son accomplissement final, quand « Dieu sera tout en tous » selon la belle expression de saint Paul. Non plus la dérive mais le voyage.

Voilà la première bonne nouvelle de ce dimanche du Christ Roi : l’humanité a un avenir, elle est faite pour le bonheur avec Dieu, en Dieu.

La deuxième bonne nouvelle de ce jour est déconcertante : c’est le message de l’évangile dit du « Jugement dernier » qui a inspiré les sculpteurs des grandes cathédrales.

Le Seigneur a toujours l’art de nous surprendre et de nous étonner. On pense assez spontanément que ce qui va conditionner cette rencontre finale avec le Seigneur, c’est la manière de s’investir dans du « religieux » : prier, se former en théologie, aller à la messe, faire des pélerinages, suivre des retraites etc…
L’évangile nous oriente tout ailleurs, dans le plus ordinaire de la vie :
donner du pain, donner un verre d’eau, visiter un malade, accueillir un étranger, habiller celui qui est nu, rencontrer un prisonnier.
Ces gestes aussi simples, quotidiens ont une portée divine. Chaque fois que vous l’avez fait, ou pas fait, à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait, ou pas fait. Quelle extraordinaire révélation !
Vous observez que dans cet évangile aucun n’avait conscience qu’il était question de Dieu dans la rencontre de l’homme. Seigneur, quand est-ce que nous t’avons donné à manger, ou pas à manger, à boire ou pas à boire, vêtu ou pas vêtu, accueilli ou pas accueilli ? Aucun ne le savait. Le grand bonheur est silencieux et la grande tendresse discrète voire secrète. Il ne s’agit pas de savoir, il s’agit de voir le besoin, l’attente de l’un de ces petits à mes côtés.

La fête du Christ-Roi ne nous conduit pas vers des palais somptueux et les fastes de la puissance humaine. Elle nous oriente à suivre la trajectoire de cet homme, Jésus, Christ et Seigneur
            qui a aimé « pour de bon », « pour de vrai » dans l’épaisseur de l’humain,
            qui a plié la mort à dire encore l’amour sur la croix,
            qui est ressuscité à tout jamais et qui fait vivre.

La proposition de l’évangile n’est pas pour les stars, même pas pour les stars de la sainteté ni pour les hommes et les femmes d’exception, hors du commun, des champions de vertu. Non, elle appelle des gens tout ordinaires – vous et moi – qui ouvrent leurs yeux, leurs oreilles, leur cœur aux besoins et à la miséricorde des autres.

Pour être à hauteur de Dieu, il faut nous mettre à hauteur de l’homme non pas à fond de cale mais sur le pont.

Ne serait-ce pas là notre boussole… retrouvée  ?
Amen

 

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