Curé Nassouh Toutoungi, le 25 mai 2008, à la chapelle Ste-Marie du Servan, Lausanne Lectures bibliques : Isaïe 45, 22-24a; Ephésiens 2, 11-12a. 17-22; Matthieu 22, 1-14 |
Chers frères et sœurs en Christ,
Quel texte scandaleux ! Où est la Bonne Nouvelle là-dedans ? Un roi qui massacre des sujets qu’il ne juge pas digne, est-ce bien conforme au message de Jésus, tout cela ?
Nous avons à faire à une parabole, c’est-à-dire à un texte qui représente une vérité importante de la foi, mais de façon imagée, sous la forme d’une petite histoire, pas toujours vraisemblable, d’ailleurs. Donc une parabole raconte toujours autre chose que ce qu’elle dit ; une parabole veut dire plus qu’elle-même. Il s’agit de lire entre les lignes.
Mais il y a de multiples manières de lire entre les lignes. Cela ne veut pas dire d’ailleurs que telle ou telle manière est vraie ou fausse. Chaque lecture a sa légitimité.
Nous pouvons faire une lecture historique de notre parabole. Nous y reconnaissons en effet un résumé de l’histoire de l’Alliance. Au cours des siècles, Dieu a invité son peuple à entrer en Alliance avec lui, à partager son amour. Cette invitation, c’est l’invitation à participer au repas de noces, un repas de fête où l’Alliance est célébrée dans la joie. Malheureusement, les hommes ont souvent répondu à cette invitation par l’indifférence, le mépris et même le rejet des prophètes que Dieu envoie pour parler à son peuple. « Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. » Ce refus a été suivi de diverses catastrophes qui ont été vues comme la punition de Dieu : « Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville. » Ensuite, le peuple d’Israël a été déporté à Babylone. Cependant, l’invitation à entrer en Alliance demeure. « Le repas de noces est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noces. » Selon cette manière de lire, nous avons à faire à une invitation aux païens, aux mauvais comme aux bons. Au fond, l’origine des invités n’a pas d’importance. Il n’y a pas de privilège de race, de naissance, ni même de moralité. Seul compte la confiance en celui qui appelle. Seul compte la foi qui justifie, la foi qui rend juste et bon, la foi qui est nouvelle naissance.
Continuons à lire notre parabole. Il faut faire d’emblée une remarque très concrète : comment est-ce qu’un invité de la dernière heure, qui a été embarqué sur les chemins, peut-il avoir un vêtement de noces ? C’est évidemment impossible et peu vraisemblable. C’est pour cela que des théologiens ont pensé que Matthieu a compilé deux paraboles indépendantes en une. Mais cela n’enlève rien à la portée symbolique du texte. Cela nous rappelle simplement qu’une parabole ne doit pas être lue pour ce qu’elle est, mais qu’elle nous montre autre chose. Qu’est-ce que c’est que ce vêtement de noces, alors ? C’est notre disposition à accepter l’invitation pour ce qu’elle est. Une invitation, quelle qu’elle soit, est toujours un moment de convivialité, mais lorsque c’est Dieu qui invite, c’est plus que cela. Nous devons prendre cette invitation « au sérieux ». Il ne s’agit pas d’être invité pour se remplir l’estomac uniquement, mais aussi de se réjouir de la joie qui est partagée. La joie qui nous est proposée, c’est celle de Dieu qui rejoint les êtres humains dans le plus profond de leur vie, celle de Dieu qui se fait homme pour nous sauver. Cette joie-là est tellement plus importante que n’importe quelle autre. C’est cela, prendre l’invitation de Dieu « au sérieux ». Car ce n’est pas n’importe quelle invitation.
Le vêtement de noce figure la transformation de l’invité, il répond en s’adaptant à l’invitation. A l’honneur qui lui est fait, il répond par une généreuse transformation de sa vie. Il fait l’expérience d’une nouvelle naissance par la foi.
Or, cette transformation ne se fait pas en un jour. Prendre l’invitation de Dieu au sérieux, c’est une grâce qui demande beaucoup de patience, de persévérance et de ténacité. On s’y prépare, on est impatient, on voudrait bien y être déjà. C’est cela aussi le vêtement de noce : se réjouir avant les réjouissances elles-mêmes. Préparer dans la joie et la reconnaissance son âme à recevoir le Seigneur dans la Parole et dans le pain.
Nous y voilà donc. Le repas de noces auquel le Seigneur nous invite, c’est l’Eucharistie ou la Cène. Car c’est là que son Alliance se manifeste à nous de la façon la plus concrète. Ce sont les noces du Roi, du Fils bien-aimé du Père, les noces du Christ qui épouse l’humanité. Mais, si nous y réfléchissons bien, sommes-nous dignes de participer à un tel repas ? Car ce repas n’est pas un repas ordinaire, mais un banquet. Il ne sort pas de nos petites cuisines, mais il nous est préparé par le Seigneur, le Dieu de l’univers. C’est peut-être cela aussi, le vêtement de noces que nous devrions revêtir : un vêtement d’humilité. Il ne s’agit pas de s’écraser devant Dieu, ce n’est pas ce qu’il veut ; mais d’être dans une attitude de réception et de reconnaissance. Nous n’avons pas un droit quelconque de participer à ce banquet, mais nous sommes accueillis tels que nous sommes. C’est Dieu qui se donne, à nous de l’accueillir comme il se doit, avec joie et reconnaissance.
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