LITURGIE DE LA PAROLE transmise de Sibiu, en lien avec le 3e Rassemblement oecuménique européen

 

Chanoine Claude Ducarroz, Sibiu, Roumanie, le 9 septembre 2007

 

Peut-être faut-il avoir éprouvé une longue nuit pour apprécier vraiment la lumière.
Je me souviens d’une visite chez le cardinal Todea, ancien métropolite de l’Eglise gréco-catholique de Roumanie. Il habitait une modeste maison entourée d’un petit jardin, à Reghin, une bourgade de Transylvanie, à environ 150 kilomètres d’ici.
Cet évêque avait passé 18 ans tout seul dans l’obscurité d’une cellule de prison sous le règne cruel du dictateur communiste Ceaucescu. Agé, malade, rendu muet par une attaque cérébrale, le cardinal Todea n’avait plus que son regard pour communiquer ce qu’il ressentait.
Mais quel regard ! Il avait comme accumulé en lui, au fond de son cœur, toute la lumière dont il avait été privé durant tant d’années. Il  nous regardait avec un soleil en lui, étincelant, éblouissant. Mais en même temps ce regard était infiniment doux, rempli d’amour, de pardon et d’humble bonheur.
Il semblait nous dire : « Peu importe finalement la nuit dehors si le soleil brille au-dedans ».

Nous sommes à Sibiu, dans cette même Roumanie, aujourd’hui pays libre – quoique très pauvre encore -, membre de l’Union européenne.
Toute l’Europe, celle des peuples et celle des Eglises, est comme concentrée dans ce grand rassemblement œcuménique. Par bonheur – je dirais même par miracle -, notre continent n’est plus plongé, en sa moitié est, dans les ténèbres des oppressions et des persécutions. Nous respirons tous, plus ou moins bien, au soleil de la liberté.
Mais que de nuits demeurent, plus intimes sans doute, plus sociales aussi, plus spirituelles même.
Je pense aux désespérés du suicide, surtout parmi les jeunes. Je songe aux immenses solitudes qui peuvent enfermer dans une sorte de nuit nos aînés abandonnés ou nos familles décomposées. Je vois devant moi les immigrés de la misère ou de la violence, ailleurs, qui viennent frapper à la porte, chez nous, avec le rêve d’une lumière un peu chaleureuse au bout de leur interminable tunnel. Et ils trouvent trop souvent le rejet, l’exclusion, le racisme. Je remarque enfin les nébulosités morales de celles et ceux qui ont perdu le sens de la vie, le sens de leur vie. Ils ont beau s’étourdir dans toutes les sur-consommations. Ils errent comme des êtres hagards qui tâtonnent dans la nuit, surtout à l’heure des épreuves, des échecs et de la mort.

A toutes celles-là, à tous ceux-là – et qui peut dire qu’il n’a jamais lui-même passé par là ? -, les Eglises d’Europe à Sibiu osent proclamer une nouvelle de feu. Pas quelque chose qui relèverait d’un discours planant, inventé pour se consoler à bon marché ou, pire encore, pour endormir les autres sous l’opium d’une religion.
Non, une parole et une promesse de quelqu’un qui a pu dire, preuve à l’appui : « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. » (Jean 8,12)

Et pourquoi donc ces chrétiennes et ces chrétiens – qui n’ont pas encore dissipé toutes les ombres de leurs divisions – se sentent-ils obligés de le dire et même de le répéter, malgré tout :
« Le Christ est la lumière des hommes, et cette lumière luit dans leurs ténèbres. Et ce Christ, lumière véritable, peut et veut éclairer tout homme en venant dans le monde. Et il est venu ! » ?
Ces chrétiens, réunis à Sibiu, mais aussi tous les autres qui se rassemblent aujourd’hui partout sur la terre, ne se prennent pas pour des lumières. Ils savent assez qu’ils sont les premiers à devoir être éclairés et réchauffés par le Christ de l’aube pascale, ne serait-ce que pour trouver les voies de leur pleine réconciliation.
Mais ils se sentent aussi responsables d’une mission urgente, importante, fascinante : redire à notre humanité, à commencer par les peuples de notre Europe, que tout être humain est appelé à devenir un enfant de lumière, que notre destin final débouche sur la fulgurante splendeur de la résurrection. Et que par conséquent, nous pouvons, nous devons vivre en frères et sœurs illuminés, réchauffés, guidés par la clarté de l’amour universel de Dieu, tel qu’il s’est manifesté dans le Christ Jésus.

Quand on est seul dans le noir – et pour cela, pas besoin d’être enfermé dans une prison avec des barreaux -, il suffit d’un bruit, d’une parole, d’une faible lueur, d’une main qui serre une autre main, pour que renaisse l’espérance et que la vie soit déjà plus forte que la mort.
Tout cela – une parole, une lumière, une présence, des signes de vie -, le Christ continue de nous en faire le cadeau dans nos Eglises, sur nos chemins d’humanité. C’est la Parole biblique – lampe sur la route -, ce sont les sacrements, et surtout la présence eucharistique. Ce sont aussi des frères et sœurs en solidarité toujours plus forte dans le pèlerinage vers l’unité, tous ceux et toutes celles qui se mettent au service de leur prochain pour rendre leur existence plus lumineuse et plus chaleureuse. Et il y en a partout !

Oui, la vraie lumière est là, vacillante mais toujours invincible, qui brille sur les pauvres chandeliers que sont nos Eglises, la lumière qu’est le Christ de Pâques, « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

 

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