Jean-Claude Huot, pasteur Jacques Bakulu, pasteur Luc Ramoni, à l’église St-Maurice, Ursy, le 20 mars 2011
Lectures bibliques : Job 28, 5; Matthieu 6, 19-21
Messages prononcés au cours de la célébration
Jean-Claude Huot
Délégué pour la campagne œcuménique de Carême
L’Afrique est présente en Suisse. Les migrations et les voyages nous donnent la joie de rencontrer des frères et des sœurs d’Afrique. Nous savons aussi que les premiers hommes de notre espèce sont probablement venus d’Afrique il y a 100’000 ans. Nous savons encore que le Cervin fait partie de la plaque continentale africaine.
Mais savons-nous que l’Afrique est là aussi dans ce téléphone portable que nous avons tous dans nos poches et nos sacs ? Il y a dans ce petit appareil du coltan, un minerai qui vient en grande partie de l’Est de la République démocratique du Congo, au cœur du continent africain.
Et ce continent est riche de quantité de minerais que nous utilisons tous les jours : le cuivre, l’or ou le platine. Le pétrole aussi, sur les côtes. L’Afrique est présente, elle fait notre richesse. Pourtant sa population est pauvre. Elle souffre de la faim. Et c’est inacceptable.
C’est pourquoi les trois organisations qui animent depuis 41 ans la campagne œcuménique, Pain pour le Prochain, Action de Carême et Etre Partenaires ont intitulé la campagne du carême 2011 : « Extraction minière, un business indigeste ! » Il importe d’entendre la voix de nos sœurs et de nos frères d’Afrique qui nous disent : « ça suffit ! Aidez-nous à construire une économie et des sociétés où nous pouvons tous vivre dans ».
Le pasteur Jacques di Mapianda Bakulu est l’hôte de la campagne œcuménique. Il commence aujourd’hui à Ursy sa tournée en Suisse romande. Comme coordinateur du CEPECO – Centre pour la promotion et l’éducation des communautés de base -, une organisation soutenue par Action de Carême, il forme des animateurs et appuie des associations paysannes. Il nous dira la réalité d’une population qui fait face aux puits de pétrole près des côtes de Boma à l’Ouest du Congo. Il nous dira aussi, comme Job, la recherche de la sagesse qui anime les communautés chrétiennes qu’il accompagne.
Premier message du pasteur Jacques Bakulu
Après la lecture du livre de Job « La terre fut ravagée en ses entrailles » (28,5)
Le peuple congolais vit dans une misère sans précédent. A tel point qu’il préfère la période coloniale. Parce que je peux vous assurer qu’aujourd’hui le Congolais naît pauvre, grandit pauvre, vit pauvre, meurt pauvre, enterré pauvre dans un sous-sol riche…
Je vous parle maintenant de ma province du Bas-Congo à l’ouest de la RDC à l’embouchure du fleuve. C’est une province pétrolière. Elle est aussi la deuxième province minière du Congo après le Katanga. L’exploitation pétrolière a commencé en 1967 et elle dure jusqu’à ce jour. Plusieurs entreprises anglo-saxonnes, belges ou françaises sont passées au Bas Congo. Elles ont exploité le pétrole, mais elles n’ont pas aidé les congolais de cette province. Elles ont apporté la misère, la pollution, les maladies respiratoires et la sécheresse, bref une destruction totale de l’environnement . On a vu les poissons empoisonnés et des rivières entières sont devenues impropres à la consommation.
La cité côtière de Moanda est le siège de l’exploitation pétrolière au Congo. Mais c’est la ville côtière de l’Atlantique la plus sous-développée de tout l’Océan.
Les approches traditionnelles du développement, en Afrique comme ailleurs, ont insisté sur le rôle des ressources naturelles dans la promotion du bien-être économique et social de chaque
peuple. Mais dans les faits, dans mon pays, l’exploitation des ressources naturelles a encouragé un déficit démocratique, la corruption, et parfois des guerres civiles. Le résultat est que ma province fait partie des régions pétrolières les plus pauvres du monde. Dans le classement du Programme des Nations Unies pour le développement la RDC est classée avant dernière sur l’échelle du développement humain.
Notez bien que la gestion des revenus de ces ressources repose plus sur une logique de production que sur une logique de répartition. On produit, mais on ne répartit pas. La population est simplement oubliée. Ce qui crée des frustrations.
Pourtant les minerais sont là, mais ils sont le plus souvent exploités artisanalement par exemple l’or et les diamants.
C’est donc avec la main, et parfois même la main nue, qu’on extrait ces matières du sol, et cela en quantités très faibles.
La misère et le sous-développement des côtes entières est constaté. Elles sont polluées.
Dans d’autres pays du monde la pollution est compensée, par exemple dans le golfe du Mexique. Mais chez nous les entreprises ne réparent pas les dégâts. Elles dégradent l’eau qui était utilisée par la population. Et ensuite elles construisent quelques fontaines, mais cela ne compense pas.
Le résultat est que la vie est plus compliquée qu’avant.
Même sur le plan social, on remarque des problèmes.
Par exemple les ouvriers congolais qui travaillent dans le pétrole sont 5 fois moins payés que dans l’enclave voisine de Cabinda qui est une province angolaise.
Voilà en quelques minutes ce que je peux vous dire sur la réalité de mon pays en écho avec les ravages de la terre qu’évoque le livre de Job que nous venons de lire.
2e message du pasteur Bakulu
Livre de Job : « Dieu a dit à l’homme : le respect du Seigneur, voilà la sagesse. S’écarter du mal, c’est l’intelligence »
Toute la vie du Congolais, dépend de la grâce de Dieu. Le Congolais vit au jour le jour, sans provision, ni budget. Quand les Saintes Ecritures disent que chaque jour suffit sa peine et l’oiseau ne sème pas mais il mange, c’est vraiment ça la vie du Congolais
C’est pour cette raison que nos communautés locales s’organisent et se prennent en charge car elles sont responsables de leur propre sort.
Et, pour qu’elles arrivent à se prendre en charge, le CEPECO les aide à s’organiser en association. Il les aide à créer des petites caisses mutuelles pour s’aider les uns et les autres. Avec cet argent, les communautés arrivent même à créer des pharmacies locales, des petits dispensaires.
Nous les encourageons aussi à connaître leurs droits. Le CEPECO pousse également les entreprises à assumer leur responsabilité sociale. Elles doivent savoir qu’elles ne viennent pas seulement pour exploiter. Elles doivent comprendre qu’elles ont un rôle à jouer pour le développement des communautés locales et fournir du travail aux habitants.
Le CEPECO agit aussi au niveau de l’Etat. Il intervient auprès des assemblées provinciales ou nationale pour inciter les autorités publiques à rédiger des lois et des édits qui prennent en compte les besoins des communautés. Par exemple nous avons influencé l’élaboration de la loi sur les hydrocarbures. Cette loi fixe un partage équitable entre l’Etat et l’entreprise : moitié moitié. Nous avons aussi participé à l’élaboration de la loi sur les forêts communautaires. Elle permet aux communautés de demander des forêts à l’Etat.
Nous déployons un plaidoyer à tous les niveaux, même au niveau international. Nous encourageons les communautés à s’intéresser à la gouvernance locale, à prendre conscience qu’il est important d’élire des députés et de suivre leur travail.
L’Eglise a la même mission de veiller à la prise de conscience des communautés et de soutenir leur foi. Elle a la mission de les encourager à se prendre en charge et à vivre dans la confiance. Mais en même temps elle stimule le goût du travail car c’est en travaillant que les communautés peuvent se développer. C’est aussi à ce niveau que la mission de l’Eglise et le travail des ONG se rencontrent se renforcent mutuellement.
Nos communautés vivent par la foi, sans savoir ce qu’on mangera demain mais avec la prise en charge personnelle que nous prônons, la méthode non-assistentielle ainsi que la création des caisses communes, elles arrivent à survivre et subvenir à leurs besoins. Et tout ce travail que nous faisons depuis des décennies est rendu possible, entre autres, grâce à l’appui des chrétiens de Suisse que vous êtes.
Message du pasteur Luc Ramoni
En introduction à l’Evangile : « N’amassez pas de trésors sur la terre… » (Mt 6, 19-21)
Je suis impressionné par le témoignage du pasteur Bakulu, mais peut-être encore plus par l’évocation du soutien que les communautés chrétiennes locales apportent à ces populations … je suis impressionné par leur confiance en l’avenir, malgré le terrible manque de moyens dont ils disposent … je suis impressionné par leur confiance en Dieu !
Et nous ? Nous qui sommes dans un pays riche, nous qui profitons au moins en partie des richesses de ces pays à l’autre bout du monde, quelle foi avons-nous en l’avenir ? Quelle foi accordons-nous à Dieu ? La question n’est pas seulement de savoir à quel point nous sommes, nous en Suisse et en Europe, responsables de l’exploitation de ces populations d’Afrique ou d’Amérique … mais au-delà de ça, quelles actions nos communautés chrétiennes d’ici engagent-t-elles pour la défense de celles et ceux qui sont exploités chez nous ?
Bien sûr, nous ne souffrons pas de la faim d’une manière aussi aiguë que nos frères africains … bien sûr nous ne manquons ni d’eau, ni d’électricité, comme bien des habitants des pays en voie de développement, mais aussi ces temps comme un grand nombre de japonais que nous gardons dans nos prières, bien sûr nous avons mis en place des systèmes sociaux grâce auxquels nous pouvons subvenir aux besoins de celles et ceux qui, chez nous, n’ont plus de travail, tombent malade ou perdent leur maison … mais ensuite ? Que faisons-nous ? Que faisons-nous ici lorsque des producteurs finissent par devoir vendre à perte le fruit de leur travail ? Que faisons-nous lorsque des entreprises qui dégagent des bénéfices continuent de licencier du personnel, heureuses qu’elles sont de voir qu’avec moins de monde on abat toujours autant de travail … ? Que faisons-nous lorsque même nos paroisses voient leurs frontières s’élargir et leur personnel diminuer ?
N’avons-nous pas, encore plus, la tentation de préserver ce que nous considérons comme notre patrimoine ? N’avons-nous pas la tentation de nous replier sur des valeurs sûres: sur nos avoirs? Pouvons-nous vraiment faire confiance à demain et nous en remettre à Dieu, qui a déjà pourvu, qui pourvoit et qui pourvoira ?
Oui, le repli sur ses propres forces est une tentation. Je pense même que c’est une tentation bien naturelle et je ne jetterai évidemment pas la pierre … mais si nous regardons un peu le monde, nous savons que vouloir s’assurer contre l’incertitude de l’avenir en accumulant des biens n’est pas une assurance infaillible ; nous savons que les technologies les plus évoluées ne peuvent pas résister aux forces de la nature !
Dès lors il est bien compréhensible que certains préfèrent restreindre leur train de vie et recentrer leurs activités sur des domaines qui leur sont plus précieux : sur la famille, sur une certaine qualité de vie … certains préfèrent laisser en circulation des biens qui ne leur sont pas absolument indispensables, parce que les posséder pour eux seuls risquerait d’en priver quelqu’un qui en a plus besoin que soi … peut-être que ce sont finalement ces gens-là qui ont compris l’évangile, ou en tout cas un certain idéal du partage ?