Messe du 15e dimanche du Temps ordinaire

 

Père Guy Musy, Dominicain, à la Maison Ste-Marthe, St-Ours, FR , le 12 juillet 2009
Lectures bibliques : Amos 7, 12-15; Ephésiens 1, 3-14; Marc6, 7-13 – Année B


Ils allaient deux par deux… Marc 6, 7 -13


Elles aussi  allaient deux par deux, parfois trois par trois et même quatre par quatre…
Avaient-elles dans leur baluchon une tunique ou un voile de rechange ? Ce n’est pas si certain. Du moins, lors de leurs premières missions, quand elles étaient hébergées dans les combles d’un vieil hôpital, recevant une misérable prébende octroyée par charité de la main des riches bourgeois de la ville de Fribourg qui avaient recours à leurs soins.

Pas de lourdes malles non plus, ni d’impressionnantes caravanes quand elles débarquèrent voilà bientôt quarante ans, au cœur de l’Afrique, au Bugusera dans l’Est du Rwanda, une province alors désolée, peuplée de réfugiés politiques et économiques venus de tous les horizons.

Mais toujours avec la même foi, la même générosité, la même confiance en Celui qui les avait appelées, puis envoyées sur les chemins du monde « chasser les esprits mauvais ». Ou, ce qui revient au même, « guérir les malades ».

Guérir « avec des onctions d’huile », précise notre texte. Une thérapie qui apaise, calme et adoucit les plaies purulentes, les blessures à vif, ainsi que les brûlures qui rongent les chairs. Une thérapie de l’âme aussi qui exorcise les peurs, les terreurs et les angoisses, lorsque la souffrance physique ou morale devient intolérable et que la mort frappe à la porte du patient.

Comme le samaritain d’une célèbre parabole, elles ont versé  leur huile sur les malheureux, échoués aux mauvais carrefours du monde. Une huile qui évoque aussi l’onction lénifiante et fortifiante du Saint-Esprit.

Ces femmes se firent recevoir par ceux et celles qui avaient recours à  leurs services. Elles habitaient leur ville ou leur village, vivaient dans leur proximité. Elles demeurèrent fidèles à leur poste, tant qu’on eut besoin d’elles. Mais elles s’en allèrent aussi vite qu’elles étaient venues, dès qu’on leur fit signe de partir. « Restez là où l’on vous appelle jusqu’à votre départ », avait dit Jésus.

 « Jusqu’à votre départ ».

Jusqu’au « grand départ » de Sœur Marie-Louise qui ne quitta le Rwanda, après 26 ans d’accueil des pauvres et des malades, que pour venir mourir ici, dans sa communauté de Brünisberg. Là d’où elle était partie.

Jusqu’au départ des Soeurs Hospitalières des Hôpitaux de Fribourg, après avoir usé leurs forces vives dans les chambres de malades, les salles d’opération, les laboratoires, les pharmacies, les résidences de personnes âgées, pour enfin se retirer ici, à Brünisberg, dans le but de soigner encore les plus faibles d’entre elles et servir à distance la jeune communauté qu’elles avaient fait éclore au Rwanda. Comme des marraines attentionnées qui entourent d’affection, d’étrennes  et de conseils des filleules très chères.

Etrange interprétation, direz-vous. Notre évangile parle d’apôtres et non de religieuses hospitalières. Mais pourquoi lirions-nous  cette page si nous ne pouvions l’actualiser ? Sur tous les champs du monde, où les misères s’entassent, le Seigneur ne cesse d’envoyer des hommes et des femmes munis de fioles  qui débordent d’huile bienfaisante

Et vous en êtes aussi, vous qui êtes à l’écoute de cette messe, quand il vous arrive d’éponger la sueur qui perle sur le front d’un malade angoissé, d’apaiser dans vos bras les pleurs d’un enfant, d’esquisser un sourire réconfortant à celui ou celle qui n’exprime que propos et désirs de mort.

Alors, à l’exemple des apôtres de jadis, sortons de nos maisons ; allons vers ceux qui souffrent. Mais avec légèreté et respect.  Sans  imposer notre présence, ni nous incruster dans leurs logis ou nous installer dans leurs lits. Sachons nous retirer à temps, nous effacer dans la discrétion quand ils nous auront signifié que le moment est venu de prendre congé. Laissons notre place à d’autres soignants, plus experts et plus compétents que nous. Nous irons alors vers d’autres malades encore isolés et abandonnés. Le travail ne nous manquera pas. Même aux jours de notre retraite. Nous n’aurons pas épuisé nos réserves d’huile avant d’avoir fait le tour de toutes les misères du monde.

Dans un évangile parallèle à  celui-ci, on apprend que les apôtres rentrèrent chez eux, enchantés de leur tournée pastorale et sanitaire. Ils s’extasiaient sur le nombre de démons qu’ils avaient pu chasser et présentaient à Jésus le bilan triomphal de leurs interventions. Mais le maître refroidit leur enthousiasme en les ramenant à la réalité. « Soyez plutôt heureux que vos noms soient inscrits dans le Royaume des cieux » , leur dit-il. Plutôt que de vous flatter de vos succès, dites avec humilité et vérité : « Nous sommes des serviteurs et des servantes inutiles ». Nous n’avons fait que notre devoir, au moment où il fallait le faire ».

Et s’il fallait se réjouir de nos brillants résultats, puisons alors à plein dans la joie que  nous trouvons à servir et à  donner. Car, dit encore Jésus, dans une tradition mentionnée dans les Actes des Apôtres : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ! »

L’apôtre, ancien ou moderne, ne trouve pas sa joie en publiant des statistiques triomphales. Il n’a rien du chasseur qui expose ses trophées au retour d’un safari. Nous trouvons notre joie dans l’exercice même de notre service, quels qu’en soient les résultats. Cette joie-là, personne ne pourra nous la ravir ; elle a déjà la saveur du monde nouveau, le goût du Royaume de Dieu, là où nos noms sont inscrits.

Il y a 150 ans cette année mourait à Ars, pas très loin d’ici, un vieux curé dont l’Eglise a fait un saint. Jean-Marie Vianney avait coutume de dire qu’il ne se reposait que deux fois par jour : quand il célébrait sa messe et quand il prêchait. Deux activités qui pourtant ne sont pas de tout repos ; mais il y trouvait la joie apaisante de celui qui se donne tout entier.

C’est cette joie du service que je vous souhaite chères soeurs et vous tous et toutes qui êtes à l’écoute. Puisse Dieu me la faire découvrir aussi.

 

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