Chanoine Charles Neuhaus, à l’abbaye de St-Maurice (VS), le 21 juin 2009 Lectures bibliques : Job 38, 1-11; 2 Corinthiens 5, 14-17; Marc 4, 35-41 – Année B |
Ces dernières années, des milliers de réfugiés ont cherché à atteindre les rives de l’Europe par voie maritime. Pour beaucoup, ce voyage était comme un exode à hauts risques vers un hypothétique Eldorado. Entassés sur des embarcations de fortune, hommes et femmes, adultes et enfants, ils ont été nombreux à perdre la vie. Et malgré ces drames, d’autres tentaient l’impossible. Ils ne partaient certainement pas à la légère. Ils fuyaient la persécution, l’oppression pour certains, la misère pour d’autres. Et nous connaissons bien d’autres situations douloureuses de réfugiés sur les routes de l’exil. Ils sont estimés à 60 millions dans le monde. Ils continuent de s’embarquer sur une mer dangereuse et agitée pour trouver un peu de paix ou de sécurité, un peu de bien-être. Car l’être humain veut vivre, et vivre heureux. Et certains arrivent chez nous. Et on dit : les réfugiés, ce sont des menteurs, des imposteurs.
Ces images de barques ballottées sur les flots, secouées par les tempêtes me viennent à l’esprit, vous le comprenez bien, quand je lis l’évangile de ce 12ème dimanche du temps ordinaire – « Jésus dit à ses disciples: passons sur l’autre rive » – puisqu’il coïncide avec le dimanche des réfugiés. Cette journée mondiale du réfugié interpelle tous les habitants de notre pays par la campagne de l’OSAR (Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés); elle concerne les Communautés religieuses de notre pays, parmi lesquelles, pour nous catholiques, Caritas Suisse. Elle nous fait connaître son travail auprès des réfugiés et fait appel à notre générosité.
L’épisode de la traversée de la mer de Galilée, traversée qui risque de se terminer par un naufrage, n’évoque pas, bien sûr, les réfugiés. Mais de la coïncidence qui fait se rencontrer cet évangile avec la mise en lumière de la situation des réfugiés, nous pouvons, je pense, retirer quelques enseignements ou des éléments de réflexion personnelle.
Revenons donc à cet évangile. Les disciples s’embarquent avec Jésus pour passer sur l’autre rive. Et avec eux, ce sont aussi les fidèles de la communauté primitive à qui Marc adresse son évangile. Il faut se souvenir qu’ils viennent d’entendre Jésus leur parler du Royaume, en paraboles. Ce Royaume, c’est comme une terre nouvelle, au cœur de notre monde, où la Parole qui tombe dans la bonne terre porte beaucoup de fruits, où la lampe éclaire ceux qui sont dans la maison, où la semence germe et grandit malgré l’ivraie, où la plus petite graine devient une grande plante potagère qui protège et nourrit les oiseaux du ciel. C’est l’enseignement que nous rapporte la première partie du chapitre 4 de l’évangile de Marc, précédent notre épisode de la tempête apaisée. Ainsi donc, les disciples, et les lecteurs de l’évangile, nourris de ces paroles riches d’espérance – le Royaume de Dieu est à l’œuvre – suivent Jésus. Mais voilà qu’ils vont être confrontés à la dure réalité du monde qui risquent de leur faire perdre confiance : « Maître, nous sommes perdus ». Jésus semble absent. Où est le Royaume qui a été promis ? Les disciples traversent l’épreuve de la passion. Les premiers chrétiens, à Rome en particulier, destinataires de l’évangile de Marc, connaissent la persécution. Et nous, nous vivons aussi dans un monde tourmenté, nous voguons sur une mer parsemée d’écueils qui menacent notre foi et sapent notre espérance. Où est le Royaume? Le Royaume est-il à l’œuvre quand nous voyons ces millions d’hommes et de femmes errant sur la terre, à cause de la méchanceté ou de la dureté des hommes ? Ils sont à la recherche d’une terre promise, d’une autre rive.
Et pourtant, une fois de plus l’évangile nous apprend que Jésus, le ressuscité, est toujours présent et vivant dans la barque. Réveillé, appelé à l’aide, « il interpelle le vent avec vivacité et il dit à la mer : Silence, tais-toi ». Jésus par son geste et sa parole nous montre qu’il maîtrise les forces du mal.
Alors nous sommes interpellés à croire que, avec Jésus présent dans notre histoire, le Royaume poursuit sa croissance en nous, et avec nous.
Ainsi aujourd’hui, en ce dimanche des réfugiés, nous osons croire que le Royaume de Dieu peut être présent dans le monde des réfugiés en y apportant un peu plus d’humanité, un peu de notre amour du prochain. Et c’est l’amour qui fera aussi naître l’amour dans des cœurs si profondément blessés. Les semences du Royaume germeront à travers notre attitude face aux réfugiés.
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Le point d’attention que nous propose les animateurs de cette Journée des réfugiés est le suivant : Remettre en question les préjugés. Vous avez vu ou vous verrez l’affiche du jour : Tous des menteurs ? Tous des imposteurs ? |
« Ils affluent toujours plus nombreux; ils envahissent la Suisse. Ils viennent pour des raisons purement économiques, profitent de notre aide sociale, reçoivent plus d’argent que les autochtones indigents. Ils s’inventent des histoires. Refusent de travailler. Font du trafic de drogue, sombrent dans la criminalité. C’est ainsi qu’on parle d’eux au café du commerce, avant les votations. Voilà le regard souvent porté sur les réfugiés. Ces préjugés se généralisent de plus en plus. Ils sont l’ivraie; ils sèment la suspicion en nous. Ils engendrent, chez le réfugié, le sentiment d’être sans valeur. Comment arrêter ces forces destructrices?
Croyants, nous sommes appelés à semer le bon grain. C’est la mission que les responsables de nos communautés religieuses nous confient dans leur appel commun : remettre en question les préjugés. « Ces jugements à l’emporte-pièce sont discriminatoires. Ils ne sont pas en accord avec la tradition humanitaire de notre pays, ni avec la volonté d’octroyer une protection à ceux qui en ont besoin. Quand bien même s’il y a des abus : ce ne sont pas les personnes, mais leur origine, que les préjugés mettent au premier plan. En tant que représentant des Eglises et communautés religieuses, nous appelons ensemble nos fidèles à porter un regard critique sur les préjugés à l’égard des réfugiés. »
Les préjugés sont comme des lunettes qui déforment le visage d’autrui. Ils nous empêchent de percevoir les autres tels qu’ils sont réellement. Il nous arrive de souffrir de préjugés à notre égard.
« L’appel que nous lançons, déclarent les responsables de nos communautés religieuses, nous met en garde contre la tentation de fermer nos cœurs vis-à-vis de ceux qui ont besoin de protection. Il nous invite à respecter les réfugiés en tant que personnes au destin individuel qui ont le droit d’attendre de notre part autre chose que condamnation et rejet. »
Jésus, debout dans la barque, fait taire le vent menaçant et apaise la mer en furie. En lui, nous entendons l’appel à œuvrer pour le Royaume, contre vents et marées, en particulier par notre refus des préjugés qui courent les rues et par notre attitude d’accueil et d’écoute à l’égard des réfugiés.