Messe de Minuit, Nativité du Seigneur

 

Mgr Norbert Brunner, le 24 décembre 2008, à la cathédrale de Sion
Lectures bibliques :
Isaïe 9, 1-6; Tite 2, 11 Luc 2, 1-14-14 – Année B

Chers frères et sœurs,

       À chaque Noël me revient en mémoire un rituel immuable qui a marqué mon enfance à la maison. Dans les derniers jours avant Noël certaines armoires étaient fermées à clé. Et le 24 décembre, même la porte du salon était fermée. La fièvre de l’attente montait. La curiosité était à son comble, notre patience mise à rude épreuve. Que pouvait-il donc y avoir de si important au salon pour qu’on en fermât ainsi la porte?

       À la veillée, à travers le corridor faiblement éclairé, nous nous dirigions vers la porte fermée que papa allait ouvrir avec grande solennité. Et nos yeux s’écarquillaient sur un monde éblouissant de lumière et de bougies, sur une crèche magnifique et sur un sapin rutilant d’or. Les petites flammes se reflétaient dans nos yeux d’enfants. Notre cœur battait fort, c’était Noël, l’enfant Jésus était arrivé.

       Plus tard, dans ma vie, il m’a été donné de faire encore d’autres expériences de portes qui s’ouvrent. Et vous aussi sans doute, chers frères et sœurs. Certaines s’ouvrent au bonheur comme celle des mariés qui pénètrent pour la première fois dans leur nouveau foyer, celle du médecin qui confirme aux jeunes parents un heureux événement, celle des parents qui accueillent, une fois de plus, l’adolescent rebelle qui a encore fait des siennes.

       D’autres portes, cependant, s’ouvrent sur des perspectives moins réjouissantes : la porte du malade à qui le médecin doit annoncer une maladie incurable ; la porte qu’un ami ne veut plus nous ouvrir ; la porte de la mort qui se ferme définitivement sur un être cher ; la porte d’une fin de vie qu’un jeune choisit librement.

       N’est-il pas aussi question de portes dans l’Évangile de Luc que nous avons entendu de cette nuit ? Je pense ici aux portes d’auberges restées fermées pour Marie et Joseph cherchant un abri au terme d’un long voyage pénible et fatigant. Quelle souffrance de se voir ainsi rejeté ! Mais quelle joie de voir venir au monde l’Enfant que Dieu avait promis. Il est entré dans le monde par la porte grand ouverte du cœur et du corps de Marie sa Mère. Les bergers eux-mêmes, dans leurs champs, ont ouvert tout grand leur porte à l’éblouissante clarté quand l’ange leur apporta la grande nouvelle : « La gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. » (Lc  2, 9)

       Par cet heureux événement de la naissance de l’Enfant-Dieu dans une étable de Bethléem, c’est en quelque sorte l’éternité qui pénètre dans le temps.

       Dieu est entré dans notre monde par la porte du temps. Cet événement a accompli ce qu’avaient annoncé les prophètes : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué l’allégresse, tu as fait grandir la joie : on se réjouit devant toi… » (Is 9, 1-12)

       « Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné. » (Is 9,5) Cet enfant est le Messie promis. Il n’est pas simplement un enfant qui grandit comme un juif pieux, ainsi que le pensent certains aujourd’hui. Il n’est pas non plus un jeune homme qui veut ébranler les traditions religieuses de son pays et qui le paiera de sa vie. Cet enfant, est bien plus que cela. On le nommera : « Merveilleux-conseiller, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-paix. Ainsi le pouvoir s’étendra, la paix sera sans fin. » » (Is 9, 5-6)

       En un mot, nous pouvons dire qu’à travers cet enfant, l’éternité est entrée dans le temps. L’amour infini de Dieu et sa sainteté ont rencontré l’homme. C’est l’amour qui abolit toute distance entre Dieu et l’homme et qui rend possible la proximité entre les hommes. C’est l’amour qui supprime en nous toute crainte : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une Bonne Nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. » (Lc 2, 10-11) C’est l’amour d’un Dieu infini qui se fait si petit et si humble qu’il peut se glisser en chaque homme et dire à chacun : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu m’appartiens. » (Is 43,1)

       Dieu s’est fait homme et il a habité parmi nous. L’annonce du prophète Isaïe, que nous avons faite nôtre le premier dimanche de l’Avent, s’est ainsi réalisée : « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, devant toi les montagnes ruisselleraient. […] Tu viens à la rencontre de celui qui pratique la justice avec joie et qui se souvient de toi en suivant ton chemin. » (Is 63, 19b ;64, 4a)

       Par l’incarnation de son Fils, Dieu a vraiment déchiré les cieux. Il a ouvert les portes de l’infini de son être divin pour rejoindre la finitude de l’homme et de la création. Dieu s’est fait homme pour sauver l’homme et toute la création des forces du péché et de la mort. Dieu s’est fait homme pour que les hommes deviennent enfants de Dieu. Dieu, en la personne du Fils, s’est dépouillé pour un temps des prérogatives de sa divinité pour devenir homme et prendre ainsi sur lui la souffrance, la finitude et la mort. Dans l’enfant de la crèche, Dieu est devenu la Lumière du monde.

       C’est surtout Jean qui, dans son Évangile, appelle Jésus la Lumière du monde. Il est Lumière car il nous permet de comprendre, à nous les hommes, qui est Dieu, ce que Dieu veut et comment Dieu agit. Il est la Parole éternelle qui nous dit que Dieu est Amour. Puisque l’homme peut ainsi reconnaître Dieu, il se reconnaît aussi à nouveau comme créature, comme enfant de Dieu, aimé de Dieu. Nous comprenons ainsi que notre vie est un chemin qui vient de Dieu et qui mène à Dieu.

       Les bergers de Bethléem et les mages venus d’Orient ont aperçu la lumière. Les bergers ont suivi l’appel des anges. Les mages ont suivi l’étoile. Aussi bien les bergers pauvres, méprisés et dédaignés que les mages lettrés, nobles et puissants ont trouvé le chemin de la crèche. Ils ont prié avec dévotion et s’en sont retournés chez eux, en hommes nouveaux, emplis de joie. Ils ont passé la porte de la joie divine, de l’amour infini, du Sauveur du Monde.

       D’où que nous venions, qui que nous soyons, quelle que soit la joie qui nous emplit ou le souci qui nous oppresse, quel que soit le signe que nous ayons suivi, ce soir, nous sommes arrivés devant la même porte. Elle nous fait passer de nos pesanteurs quotidiennes à la joie de la naissance du Christ. Jubilez donc ! Dieu est là !

       À partir d’aujourd’hui, la réponse à la question : « Que fais-tu à Noël ? » ne sera pas : « À Noël je fais… », mais bien « Noël me fait… »

       Noël fait de moi une porte ouverte par laquelle Dieu peut entrer dans mon cœur et dans le monde. Noël fait de moi une crèche dans laquelle le Fils de l’homme peut se réchauffer. Noël fait de moi une lumière qui rayonne sur les bergers dans leurs champs et qui réjouit le cœur de chacun.

     Ainsi, malgré toutes les dissonances de nos propres vies, malgré toutes les fausses notes de la faiblesse humaine dans l’Église et dans la société, nous pouvons chanter : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime. » (Lc 2, 14)

       Nous pouvons chanter notre allégresse cette nuit et nous pourrons la chanter durant toute l’année qui s’ouvre devant nous, durant notre vie entière et pour l’éternité.

       Amen.

 

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