Abbé Bernard Jordan, au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, CHUV, Lausanne, le 4 décembre 2005 Lectures bibliques : Isaïe 40, 1-11; 2 Pierre 3, 8-14; Marc 1, 1-8 – Année B |
Chers amis,
Je ne vous apprends rien en disant que toute notre vie est une attente. Rien ne nous rassasie entièrement, pleinement, nous avons toujours faim et soif de quelque chose, d’affection, d’amour, d’amitié, en fait.
Dans un tel contexte, il serait bon de se poser peut-être la question : « Est-ce que j’ai vraiment accepté de vivre ? Est-ce que j’aime ma vie ? Ou bien, je la subis toujours ? »
On demandait, un jour, à un jeune : « Tu crois qu’il y a une vie après la mort ? » Avant, dit-il, je vous pose la question : « Y a-t-il une vie après la naissance ? » Elle est très significative cette réponse : que porte-t-il dans son cœur ce jeune ? Je ne me trompe pas en vous disant que je suis invité à apprendre à apprécier la vie, à apprécier ma vie pour qu’elle puisse m’épanouir. C’est une sacrée épreuve parfois d’aimer sa vie .
Le créateur ne peut pas me laisser éternellement insatisfait, impossible; ma raison même ne peut l’admettre. Ce créateur a parlé en Jésus de Nazareth. Nous venons d’entendre : Le Seigneur n’est pas en retard pour tenir ses promesses, comme le pensent certaines personnes, c’est pour vous qu’il patiente, car il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre en chemin.
Jésus n’a rien écrit, il a simplement vécu parmi nous et comme nous. Il a valorisé l’homme quel qu’il soit, il lui a promis d’amener à la perfection tout ce qui le rendrait heureux dans cette vie. Pour cela, Il nous assure de sa présence discrète, mais efficace, nous sommes accompagnés.
Ah, quel encouragement à créer du paradis sur cette terre ! c’est la seule chose que je pourrai emporter avec moi lors du départ définitif, que je sois croyant ou pas. Alors durant ce temps de l’avent, essayons de faire l’inventaire de tout ce qui me rend heureux, pour que le Seigneur puisse l’éterniser pour un bonheur plénier. Voilà en bref, le sens de ma vie.
Je peux alors comprendre la foi courageuse de cette jeune dame, mariée et maman de deux enfants, qui m’a demandé de proclamer haut et fort à son enterrement : « Dieu est amour ». Tu le diras, Bernard, a-t-elle insisté. J’ai parlé de foi courageuse car l’affection qu’elle portait à sa famille était si intense qu’elle a écrit des pages et des pages pour ses enfants, où elle leur explique qui elle est, ce qu’elle a ressenti durant sa maladie, le bonheur qu’elle leur souhaite et les multiples conseils d’une maman. Lors de la célébration de l’adieu, près de 50 enfants étaient présents avec chacun un bouquet de fleurs, je ne le savais pas avant, si bien que j’ai dit : « Merci Seigneur, je vais pouvoir dire avec des fleurs que Tu es Amour ». Sincèrement j’avais peur de heurter certaines personnes, car cette réalité est tellement existentielle que je désirais qu’elle touche les cœurs plutôt que de les heurter. Cette immense gerbe formée, autour du cercueil, par les bouquets des enfants, semblait nous introduire dans un autre monde.
Certains peuvent me dire : mais c’est une drôle de manière de nous préparer à Noël en nous parlant de la sorte. Quelques personnes voient arriver Noël avec effroi, car la solitude sera comme une chape de plomb, car la souffrance d’une séparation fait encore souffrir.
En fait Noël, c’est la fête de la naissance, de la famille, de la lumière, de la paix, du partage, de l’espérance. A première vue, ces mots paraissent des clichés que l’on ressort chaque année décorés de guirlandes lumineuses, d’étoiles et de bougies. Mais si ces mots définissaient, avec émerveillement, ce qu’est notre passage en Dieu. C’est vrai, la souffrance qui entoure la mort nous empêche souvent d’apercevoir sa face lumineuse. J’en ai fait l’expérience souvent. Un 24 décembre vers 19h., ici à l’hôpital, je devais expliquer à un enfant de 8 ans que son papa allait mourir pendant la nuit, la maman qui attendait son troisième enfant, tenait sur ses genoux le second. Intérieurement, je disais au Seigneur : « Je ne comprends pas, tu sais que nous vivons la nuit de Noël ? » En nous quittant, le jeune garçon m’a dit, j’aimerais bien te revoir; ça été mon cadeau de Noël, revoir quelqu’un qui annonce une telle nouvelle, il y a de l’espérance dans l’air. J’ai dit au Seigneur : je n’ai pas été très exigeant comme cadeau. Noël et la mort semblait se faire concurrence. Et la parole de saint Pierre que nous venons d’entendre, résonne très fort en ce moment : « Car ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau, une terre nouvelle où résidera la justice. »
La mort, une naissance : je serais enfin moi-même, reconnu, aimé pour ce que je suis.
La mort, une fête de famille : enfin tous réunis ! Personne ne manquera à l’appel, tous les liens tissés sur cette terre confectionneront ma joie de vivre. Chacun sera comblé, donc plus possible d’être en désaccord. Je présentais la Bible, un jour, à des enfants de 7 ans. Céline spontanément s’écrie : ma maman m’a dit que dans ce livre il est écrit que je reverrai mon papa qui est mort il y a 3 mois.
La mort, fête de la lumière : enfin, je connaîtrais le sens des réalités, je ne me suis pas trompé en faisant confiance à Jésus de Nazareth.
La mort, fête de la paix : l’amour aura eu le dernier mot sur tout. Comme je serais heureux de savoir que tous mes combats, mes luttes pour pacifier mon entourage, mes pardons pour vivre en paix, me préparaient à ce règne de paix. Je savais que la vie n’avait pas dit son dernier mot, que mes rêves de beauté, de bonté, de partage, (ce fameux partage des biens,) mes rêves d’amitié, d’amour deviendront réalités.
Trop beau pour être vrai, me direz-vous. Possible mais j’en ai la conviction, car Dieu ne pourrait pas nous tromper à ce point. Donc en route, il faut se sauver ensemble.
Pourtant, Il est venu nous le dire et tout simplement ce matin , j’ai accepté d’être une fois de plus son porte parole. En taquinant je vous dit : vous ne pourrez pas dire que vous ne l’avez pas entendu une fois.
Amen