Messe du 31e dimanche ordinaire

 

 

Chanoine Guy Luisier, le 31 octobre 2004, à l’Abbaye de St-Maurice, VS
Lectures bibliques : Sagesse 11, 23 – 12,2; 2 Thessaloniciens 1, 11 – 2,2; Luc 19, 1-10

« Il n’y a que les poissons morts qui vont dans le sens du courant. »

Mes sœurs, mes frères,

J’ai lu récemment cette petite phrase qui m’a intrigué. C’est de cette manière que son auteur se montrait découragé par la société d’aujourd’hui, faite de clinquant, d’artifice et de supermarché, de virtualité et d’esprit-mouton; il s’insurgeait contre ce monde qui nous oblige à marcher dans le sens de la foule qui ne sait pas trop où elle va, mais qui y va quand même.

Ne sommes-nous pas souvent comme des poissons morts ou comme des poissons endormis, à nous laisser ballotter par le courant.

Or nous ne pouvons pas nous contenter de ce constat pessimiste. Il nous faut trouver des pistes pour rester vivants.

Bien sûr les catholiques bien intentionnés et sûrs de leur affaire ont tôt fait de poser le diagnostic. Le drame de l’homme d’aujourd’hui c’est qu’il ne connaît plus Dieu, qu’il a perdu les liens qui le relient au Sacré, liens que des siècles de civilisation ont patiemment tissés. Je ne peux bien sûr pas renier cette affirmation mais je pense qu’elle n’est pas exempte d’une erreur d’appréciation.

Car le drame principal de l’homme moderne n’est pas qu’il ne connaît plus Dieu mais d’abord qu’il ne se connaît plus lui-même.

Le grand malheur de notre civilisation c’est que l’homme ne sait plus ce que c’est qu’un homme. Il n’arrive plus à se définir, à se délimiter avec son être, ses désirs, ses déceptions, face à ses échecs et face à ses réussites, face à ses émotions, face à ses aspirations profondes.

En perdant le sens de son être, tous les autres liens qui le lient à la nature, à l’histoire, au sacré, s’effilochent et finissent par se rompre, laissant bien des êtres démunis et effarés, qui finissent pas se dire qu’il vaut mieux suivre le courant.

« Je ne sais pas où je vais mais je ne veux pas y aller tout seul… Nous ne savons pas où nous allons, mais allons-y tous ensemble. »

Or l’Evangile fait de la résistance et l’Eglise, quand elle est porteuse d’évangile, fait de la résistance.

L’Evangile a la prétention de construire le lien qui lie l’homme avec Dieu, mais pour ce faire il a une prétention tout aussi importante de recréer le lien qui lie l’homme à lui-même

Jésus, Parole vivante et Sauveur, vient dire à l’homme qui il est. En le révélant à lui-même il le révèle à Dieu. Il lui révèle Dieu.

Et c’est là que nous rejoignons Zachée.
C’est pour cela que l’évangile de Zachée, au-delà des activités catéchétiques de bricolage où l’on dessine des arbres et un petit homme perché, est un évangile central dans la conception de la libération qu’offre la parole de Dieu.

Zachée, c’est tout le monde et chacun d’entre nous. Tellement semblable à tous et tellement semblable à chacun d’entre nous.
Zachée est un être complexe et la peinture que l’évangile nous en donne souligne cette complexité et ses paradoxes.

Il est petit physiquement mais grand économiquement. Il est plongé jusqu’au cou dans les magouilles sociales, il est lourd de ses réussites douteuses et de sa réputation et en même temps il a une candeur, une curiosité, une naïveté et une pureté d’enfant qui le rendent si sympathique.

Zachée, c’est un monde enchevêtré et emprisonné dans ses propres contradictions.
Qui d’entre nous ne peut pas dire qu’il est comme Zachée, lourd de ses échecs et si léger dans ses désirs et ses candeurs, empesé dans son histoire terre-à-terre et banale et si plein d’aspiration à autre chose.

Les philosophes, les poètes et les théologiens ont bien su mettre en évidence cette complexité de l’homme que chacun doit assumer dans ses propres souliers, dans le terrain concret de sa vie.

Reconnaître cette propre complexité est la base de la définition que chacun doit se donner de lui-même.

Cette lucidité est source de libération. Et c’est ici qu’intervient le libérateur c’est-à-dire Jésus. Dans l’aventure personnelle de Zachée, Jésus lui dit simplement « Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi »

Chez toi ? Mais où ? Mais là, dans tes propres contradictions, dans la complexité de ta situation, de ton être. Je veux m’installer dans tes désirs, dans tes échecs, dans tes candeurs et dans tes lourdeurs, je veux m’y installer pour y apporter la libération.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Le Fils de l’homme vient mettre en cohérence ce qui me déchire : il vient, par son pardon, mettre en cohérence ce que je crois perdu avec ce qui en moi est encore pur … même l’être apparemment le plus gâté garde en lui une part du paradis originel. Jésus vient défricher les chemins pour l’atteindre et l’agrandir.

Pour Zachée ce chemin de guérison est passé par le porte-monnaie et le compte en banque. Cela, c’est son affaire à lui.

Mais quelle est notre affaire à nous ?
A nous aussi Jésus dit simplement : « Il me faut demeurer chez toi. » Mais où ? disons-nous rapidement, en pensant tout de suite à l’installer dans les parties les plus montrables de notre existence. On a tout de suite l’intention de l’installer dans la pièce la plus en ordre et de bien fermer à clé les espaces mal rangés dont on est moins fier.

Or Jésus nous dit : il me faut demeurer chez toi, partout chez toi ; laisse-moi m’installer dans les parties de toi-même dont tu es moins fier ; montre-moi tes échecs, tes péchés, montre-moi tes désirs d’enfance et tes candeurs. Assume-toi face à moi avec toute la complexité de ton être et de ton histoire et moi je viens donner la cohérence.

En m’acceptant partout chez toi, tu t’accepteras partout chez toi, tu deviendras homme.

En christianisme on devient homme en acceptant que Dieu nous montre à nous-mêmes tels que nous sommes. En devenant nous-mêmes avec toute la complexité de notre être, nous ne sommes plus des numéros plus ou moins morts qui vont dans le sens du courant ; nous sommes fils de Dieu et c’est tout.

Amen.

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