Abbé Jacques Cornet, à l’église de Poliez-Pittet, le 11 janvier 2004. Lectures bibliques : Isaïe 40, 1-11;Tite 2, 11 -3,7; Luc 3, 15-22 |
Chaque année, il est recensé dans les paroisses de notre décanat, comme dans la plupart des paroisses, un nombre assez importants de baptêmes. Il semble que, malgré la désaffection de ce que l’on appelle « la pratique religieuse », la baptême soit une démarche à laquelle tiennent de nombreuses familles. Lorsqu’on rencontre les parents pour les préparer à la célébration de ce sacrement – et il arrive encore que certains s’étonnent qu’il soit utile de « préparer un baptême » ! – il n’est pas toujours aisé de percevoir les raisons qui les ont conduits à faire cette demande pour leur enfant. Les uns y voient une coutume familiale, à laquelle on hésite à déroger ; d’autres pensent qu’il est bon de mettre l’enfant sous la protection de Dieu ; ou l’on estime qu’il est nécessaire que l’enfant ait en grandissant une « référence » dans sa vie, que la religion lui procure des orientations morales… Il en est aussi qui désirent que leur enfant puisse partager leur propre foi en Jésus-Christ, puissent entrer dans cette « famille de Dieu » qui est aussi la leur. Approches fort diverses de ce sacrement d’initiation fondamental, puisque c’est par lui que nous est donnée la vie en Dieu.
La célébration, en ce dimanche, du Baptême du Seigneur peut nous aider, par certains aspects, à saisir un peu mieux le sens et l’importance de la démarche que font ces parents à l’occasion du baptême de leur enfant. Elle peut nous éclairer davantage sur la signification de cet acte pour lequel Jésus donne mission à ses apôtres après la résurrection: « De toutes les nations, faites des disciples, leur dit-il, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28,19). Certes, le baptême que reçoit Jésus n’est pas le baptême sacramentel, que Jean ne peut donner, puisque tout sacrement a sa source dans la mort et la résurrection du Christ. Mais le baptême chrétien en a gardé le rite et y trouve sa préfiguration.
La démarche qu’effectue Jésus en venant vers le Baptiste est déjà significative par elle-même. Inconnu jusqu’alors, c’est de l’anonymat et du silence de la terre de Nazareth que va être tiré Jésus lorsque, plongé dans les eaux du Jourdain, il reçoit le baptême de Jean. « Du ciel, une voix se fit entendre, nous dit l’Evangile : c’est toi mon Fils bien-aimé; en toi, j’ai mis tout mon amour ». Une voix qui, dans l’évangile de Luc, s’adresse à Jésus, et qui lui donne son identité. Une voix qui le nomme comme « Fils bien-aimé » d’un Père dont les siècles passés ont révélé peu à peu la présence et l’action salvifique. « Tu es mon Fils ! » : en Jésus, Dieu reconnaît l’Homme selon son cœur. Il reconnaît le répondant parfait : celui dont les gestes seront le témoignage de Dieu, dont les paroles sont celles du Verbe de Dieu. Dieu se reconnaît parfaitement en ce Jésus consacré Témoin et Parole du Père. En lui, Dieu révèle pour lui-même et pour les hommes son propre visage. Le baptême de Jésus est son épiphanie, sa manifestation.
Par le baptême, chacun d’entre nous a reçu de Dieu son identité d' »enfant de Dieu ». Dans la Lettre aux Galates, l’Apôtre Paul rappelle en effet : « Tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus-Christ. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ » (Ga 3,26.27). Le nom de « chrétiens » que nous portons ne se limite pas à une estampille sur la carte d’identité. Les paroles que le Père adresse à Jésus au moment de son baptême, il nous les adresse également : « Tu es mon enfant bien-aimé ! ». Et de cela, il nous est permis de nous extasier comme le fait saint Jean : « Voyez de quel amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes ! » (1 Jn 3,1). C’est bien cela la nouvelle naissance du baptême.
Mais il ne suffit pas de porter un nom, une identité : il faut l’assumer. Alors qu’il ressort des eaux du Jourdain, Jésus reçoit l’Esprit-Saint. Cet Esprit présent dès sa conception en Marie se manifeste ici encore. Il envahit toute la personne de Jésus, comme, au jour de la Pentecôte, il envahit les apôtres, et par là, toute l’Eglise. L’Esprit descendu visiblement sur Jésus et l’Esprit visiblement à l’œuvre dans la communauté à laquelle il est envoyé, c’est tout un pour Luc. Avec les débuts de Jésus, nous sommes à l’origine des jours de l’Esprit dans l’Eglise : l’Esprit et Jésus sont contemporains… Et désormais commence pour Jésus sa « vie publique » ; désormais prend naissance son nouveau corps: Jésus se fait Eglise. Il va rassembler des disciples, chasser du cœur de l’homme les racines du mal, accomplir des miracles qui soulageront les malades. Et, dans la synagogue de Nazareth, il ne craindra pas, au grand scandale de ses auditeurs, de s’appliquer à lui-même les termes d’Isaïe qui annonçaient le Messie : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a confié l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil au Seigneur » (Lc 4,18-19).
Cet Esprit qui s’empare de Jésus et qui fait de lui un homme libre, nous est donné par le baptême et par l’onction pour connaître à notre tour la libération de tout ce qui conduit au péché et à la mort : « La loi de l’Esprit qui donne la vie en Jésus-Christ m’a libéré de la loi du péché et de la mort », nous dit saint Paul (Rm 8,2). Il recrée l’homme nouveau, « il donne la vie », comme nous le proclamons dans la profession de foi. L’Esprit qui est à la fois purificateur et qui allume en nous le feu de l’amour divin. Et l’Apôtre ajoute que cette irruption de l’Esprit nous permet d’appeler Dieu « Abba, Père » : « Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu », conclut-il (Rm 8,16).
C’est la nouveauté du baptême en Jésus-Christ comparé au baptême que donnait Jean. « Moi, je vous baptise avec de l’eau… Lui vous baptisera dans l’Esprit et dans le feu », ce feu de la Pentecôte qui embrase, purifie et transforme non seulement les apôtres envoyés en mission, mais aussi tous ceux qui veulent s’adjoindre à leur communauté qui devient l’Eglise.
Dès son baptême, Jésus va commencer sa mission. Solidaire de cette foule de pauvres et de pécheurs qui espère tout de Dieu, Jésus va maintenant aller dire aux hommes la Bonne Nouvelle qu’il sont aimés de Dieu. Parcourant la Galilée, la Samarie et la Judée, il va les appeler à la conversion et, par les signes qu’il accomplit, leur montrer que le Royaume de Dieu est là et que quelque chose a changé pour eux. Aux désespérés, il redonne espérance ; aux pécheurs, le pardon qui les rétablit dans la communion avec le Père ; aux souffrants, il apporte la guérison. Et cela le conduira jusqu’au baptême dans la mort et l’ensevelissement pour surgir dans la lumière du jour nouveau.
Image de notre propre vie baptismale si nous y restons fidèles. Elle doit nous faire découvrir que nous avons été arrachés au monde ancien pour naître au monde de Dieu. Elle doit nous faire comprendre qu’en laissant brûler en nous le grand feu que l’Esprit y a allumé, en acceptant le combat du dépouillement, en accueillant le don d’une vie nouvelle, Dieu nous reconnaît pour siens et trouve sa joie à nous dire : « C’est toi mon enfant bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour ! »