Messe de Minuit

 

Mgr Joseph Roduit, à la Basilique de St-Maurice, VS, le 24 décembre 2003.

Lectures bibliques : Isaïe 9, 1-6; Tite 2, 11-14; Luc 2, 1-14

Introduction : les prisonniers de Santa Fé

Récemment, pour les fêtes de Noël, je recevais une lettre circulaire d’un prêtre valaisan, aumônier de prison dans un pays d’Amérique du Sud. Il rapportait les propos de jeunes prisonniers écrivant à l’équipe de l’aumônerie qui les visite régulièrement.

« Comment allez-vous ? Je vous écris au nom de nous tous les privés de liberté du commissariat. Nous avons reçu la crèche de Noël que vous nous avez fait parvenir. Nous avons été très agréablement surpris par le beau travail que vous avez fait pour nous.

Mon écriture n’est pas très brillante, écrit l’un de ces prisonniers, mais mon cœur est aussi brillant que celui de vous tous. Jésus a mis deux lumières dans mes yeux, pour pouvoir distinguer le bien du mal. Nous sommes prisonniers physiquement, mais notre âme ne l’est pas, et il est très important que vous le sachiez. Jamais nous n’allons permettre qu’ils emprisonnent notre âme, parce que Jésus est avec nous, et notre souhait est qu’il soit avec vous aussi. Notre désir est que vous soyez toujours fidèles à Jésus ».

Interpellation et interrogation

N’est-ce pas émouvant d’entendre ces propos où des prisonniers demandent aux membres de l’équipe d’aumônerie de rester fidèles à Jésus. Ceux-ci pensent évangéliser les prisonniers et ce sont eux qui les évangélisent. L’expression est d’ailleurs devenue courante en Amérique du Sud : « Ce sont les pauvres qui nous évangélisent ».

Et nous, chrétiens européens, est-ce que les pauvres nous évangélisent ? Nous pouvons nous poser la question dans un monde qui cherche à combler les vides intérieurs par des compensations extérieures. Ce que l’on sent chez ces prisonniers c’est qu’ils sont habités. Mais ils ont besoin d’être aidés.

Une de leurs lettres dit encore : « Souvent, nous nous sentons mal et, pour être sincères, nous avons besoin de vous pour nous décharger, parce vous nous écoutez et nous comprenez. Vous nous acceptez comme nous sommes. Ici, derrière les barreaux nous ne sommes pas tous pareils. Malheureusement nous sommes tous mis dans le même sac. Heureusement, vous autres, de la pastorale des prisons lorsque vous arrivez avec vos yeux qui sont à la porte de votre cœur, nous nous rendons compte que vous nous aimez autant que nous vous aimons. »

Les yeux à la porte du cœur

Remarquez la beauté de l’expression : « vos yeux sont à la porte de votre cœur ». Pour ma part, c’est la première fois que je lis une telle expression et elle m’interpelle. Est-ce que mes yeux sont à la porte de mon cœur ?

Autrement dit, si je veux être bon, cela commence par un regard. Il y a une façon de regarder qui signifie ce que nous vivons intérieurement. Jésus ne dit-il pas « Si ton œil est bon, tout ton corps sera dans la lumière ». On comprend bien qu’il s’agit d’une lumière intérieure.

Et cette lumière intérieure nous est offerte spécialement à Noël. Il y a dans la lumière de Noël une douceur si bien traduite par le peintre Latour quand il nous montre des visages illuminés sans que l’on voie la source de la lumière, mais qu’on la devine, derrière une main, derrière un objet.

Le cheminement de la foi et du pardon

L’aumônier de prison décrit encore dans sa lettre le cheminement que font ces prisonniers au point qu’il passe beaucoup de temps à entendre les confessions. A chaque fois, l’aumônier est ému du travail de la grâce dans les cœurs des prisonniers et leur vie change au point qu’ils se mettent à prier ensemble en prison. Ils découvrent aussi le sacrement du pardon qui les libère intérieurement. Ils deviennent peu à peu des prisonniers libres dans leur esprit et leur âme, en attendant d’être libres physiquement. Leur demande de pardon chemine jusqu’au pardon à ceux qui les ont conduits là.

Cette réflexion sur les prisonniers nous invite à voir en chacun de nous quelles sont nos prisons. Tant de personnes sont enfermées dans leurs préjugés, dans leur façon de voir les personnes, les évènements et les choses. Les murs des prisons ne sont pas toujours visibles. Ceux qui sont prisonniers de leur passé ou de leurs passions, qui va les délivrer ? Et les prisonniers de la richesse, qui va les libérer ? N’ont-ils pas besoin d’un regard de compassion ; un regard qui les délivre ?

Qu’est-ce que Noël sinon la merveille d’un Dieu qui se fait proche des hommes, surtout les plus pauvres les plus isolés. Le Verbe s’est fait chair et il s’est fait reconnaître en la personne de Jésus. De la crèche à la croix son enseignement est fait de paroles d’amour et de gestes de compassions.

Notre monde veut vivre sans Dieu parce qu’il le croit lointain et inutile. Or Dieu s’est fait proche et utile à notre salut. S’identifiant aux plus pauvres, aux affamés, aux malades, aux prisonniers, Dieu nous invite à avoir les yeux près du cœur et non pas simplement tournés vers l’extérieur.

Notre monde a besoin de redécouvrir une spiritualité une intériorité. Et celle-ci nous est offerte dans la foi chrétienne. Essayer d’étouffer cette intériorité, cette conscience morale, cette intelligence du cœur, c’est se livrer à toutes sortes de croyances, toutes sortes de religions, y compris celle de Mammon.

La spiritualité de la crèche

La spiritualité de la crèche pour naïve qu’elle apparaisse n’en est pas moins salvatrice. Vouloir écarter toute forme de religiosité, c’est appeler toutes sortes de manifestations extérieures encore plus visibles. Ne nous étonnons pas du progrès de religions non-chrétiennes chez nous, si nous leur frayons le chemin par nos manques de foi, par notre indifférence religieuse. Les enfants qui n’ont pas connu l’exemple des parents, comment vont-ils échapper à tous ceux qui sauront subtilement les attirer ?

La foi chrétienne cela s’apprend dans le catéchisme, certes, mais beaucoup plus dans les exemples au sein même de la famille. Que ceux qui pensent se passer d’enseignement et de célébration, de doctrine et de morale chrétienne, d’exemples et d’explications ne s’étonnent pas de certains résultats.

Que cette fête de Noël soit pour chacun de nous comme un rappel. Un rappel de quelques bribes de foi que nous allons rassembler pour rebâtir dans notre cœur une vie plus conforme à l’évangile qui est avant tout bonne nouvelle.

Si de simples bergers de la campagne de Bethléem ont eu la primeur de l’annonce de la naissance du Sauveur, nous n’avons pas le prétexte de notre ignorance. Au contraire, chacun de nos cœurs vaut bien une crèche et Dieu ne demande pas mieux que de l’habiter de sa présence. Amen.

 

 

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