Mgr Benoît Vouilloz, à l’église N.-D. de la Visitation, Martigny, le 30 novembre 2003. Lectures bibliques : Jérémie 33, 14-16; Luc 21, 25-28. 34-36 |
Désire la Vie
Chers frères et sœurs,
Nous sommes nombreux à avoir entendu ces paroles tirées de la Bible : du prophète Jérémie, dans l’Ancien Testament, tout à l’heure, et de Jésus lui-même, maintenant, dans le Nouveau Testament.
Ces paroles ont certainement résonné de façons très diverses à nos cœurs et à nos esprits.
Parmi nous, certains les auront jugées complètement déphasées, sans rapport avec la vie réelle, sans impact sur notre quotidien :
« En ces jours-là, Juda sera délivré, Jérusalem habitera en sécurité » promettait Jérémie ; et Jésus annonçait : « Les puissances des cieux seront ébranlées…Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche… »
Oui, paroles étranges, irréelles, perdues dans les nuages, penseront certains.
Pour d’autres parmi nous, ces paroles les confirmeront peut-être dans leur conviction que la religion se berce de douces illusions et maintient les esprits qui s’y adonnent dans une sorte de rêverie ou de psychose, où se mêlent peur et espérance, attente fébrile d’événements cosmiques grandioses.
Pour d’autres, enfin – et comme il serait beau que ce soit notre attitude à tous -, ces paroles, dans leur présentation évidemment symbolique, sont à recevoir comme un message d’amour, puisqu’elles nous disent quelque chose d’important du cœur de Dieu : le cœur de Dieu habité par un seul immense désir : que nous acceptions son invitation à partager pour toujours sa Vie de bonheur et de joie. Comme un amoureux, Dieu frappe à la porte de notre cœur, ardemment désireux que notre désir rejoigne le sien.
Alors posons-nous la question :
Quel désir nous habite, nous, en profondeur ?
Nous sommes en route vers Noël, vers les « fêtes de fin d’année » comme on a coutume de le dire.
Peut-être sommes-nous habités par le désir de la neige, des vacances, des sports d’hiver, des cadeaux, d’une heureuse rencontre familiale ?
Ou bien, plus largement, brûle en notre cœur le désir de la paix dans le monde, le désir d’aimer et d’être aimé ?
Certains parmi nous, peut-être, se refusent d’être animés par de trop grands désirs, de peur d’être déçus : plutôt ne rien désirer que de souffrir ensuite de la non-réalisation de ce que l’on attendait.
C’est bien pour cela, sans doute, que tant de frères et sœurs sont envahis par une certaine nostalgie, même de la tristesse, au moment des fêtes.
Je ne sais plus qui eu cette comparaison intéressante :
« L’homme ressemble à un enfant perdu dans la forêt et qui n’ose pas appeler au secours, de peur que personne ne réponde ». Comme c’est bien dit ! De fait, en retardant l’appel, un faible espoir demeure encore : peut-être quelqu’un habite-t-il tout près ?
Un tel espoir est-il à la source de la croyance ? Autrement dit : Dieu serait-il une invention de l’homme pour apaiser ses craintes ?
Jean Rostand, le fameux biologiste français du 20e siècle, fils d’Edmond Rostand, voyait ainsi la religion. « l’angoisse métaphysique, disait-il, il faut, ou bien la noyer dans le plaisir ou bien la guérir avec des pilules ou bien l’apaiser avec un dieu ». La religion n’est alors rien d’autre qu’une création de l’homme, découvrant en lui des désirs profonds que rien ne peut combler. Dieu ne serait qu’une projection du cœur humain, en quête de bonheur.
Non. Dieu n’est pas une invention du cœur de l’homme. Nous croyons et affirmons tout simplement que Dieu nous précède ; que Dieu est Père de tous les hommes, quel que soit le nom qu’on lui donne : Allah, Brahman,Manitou… Pour revenir à la parabole de l’enfant perdu dans la forêt, notre foi nous assure :
« oui, quelqu’un habite tout près. Mieux encore,ce quelqu’un est si proche qu’il habite notre propre cœur, parce qu’il est l’Amour ».
Et parce qu’il est Amour, il ne veut pas s’imposer. Il frappe discrètement à la porte de notre liberté et mendie notre confiance.
Nous marchons vers Noël. Redonnons vie au désir profond qui ne peut pas ne pas nous brûler intérieurement, même en secret :
« Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi », s’écrie, en notre nom à tous, saint Augustin, cet algérien du 4e siècle, chercheur de Dieu par excellence.
Noël : le Sauveur Jésus est venu, il y a 2000 ans, et il ne cesse de venir. Désirons sa venue ; notre monde en a tant besoin. Ayons faim et soif de justice, de paix, d’amitié, de fraternité. Le Christ est venu vivre au cœur de notre humanité pour partager avec nous cette faim et cette soif. Il est venu pour y apporter réponse.
Sa promesse est à l’œuvre dès maintenant, dans notre monde actuel, mais elle s’épanouira en plénitude dans le monde à venir, dans la vie éternelle. Le Seigneur le sait bien : tant que nous sommes en pèlerinage sur cette terre, notre soif, notre désir de vie, d’amour et de bonheur ne sera jamais comblé. C’est pour cela qu’il nous dit aujourd’hui :
« Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées par le fracas de la mer et de la tempête. Les hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde… » On pense spontanément : il s’agira alors, comme dans un avion traversant de fortes turbulences, de se courber et de baisser la tête en la cachant dans ses mains… Mais non ; Jésus poursuit :
« On verre le Fils de l’homme – et c’est de lui-même qu’il parle – venir dans la nuée, avec grande puissance et gloire…Alors redressez-vous et relevez la tête, car votre salut est tout proche ».
Nous redresser, relever la tête, parce que emplis de confiance et de joie devant la certitude de l’Amour de Dieu et la réalisation de sa promesse.
Nous sommes tous en route vers cette rencontre , extraordinaire et définitive, avec le Christ Jésus, qui ne cesse de nous révéler le Cœur de Dieu, le Cœur du Père de tous, un Père attentif à chaque personne, tendu, dans un élan d’amour, vers chacun et chacune d’entre nous.
En nous révélant ainsi le Cœur de Dieu, Jésus nous révèle, du même coup, notre identité profonde, que rien ni personne ne pourra jamais supprimer :
Combien j’aime cette affirmation, claire, joyeuse, ardente et sereine, de saint Jean (dans sa 1ère lettre) :
Affirmation qui a traversé les siècles, résisté à tous les doutes, à toutes les attaques :
« Voyez quel grand amour le Père nous a donné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes ! …Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons ne paraît pas encore, mais nous le savons : lorsque le Christ paraîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est ».
Chers frères et sœurs, quelle que soit notre situation concrète, dans la vie sociale – que nous soyons connus ou non, appréciés ou critiqués, bien-portants ou malades, citoyens ou étrangers réfugiés, en liberté ou en prison – tous, nous sommes attendus avec amour par le Seigneur, dont le grand désir est de nous fêter éternellement, au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer.
En ce 1er dimanche de route vers Noël 2003, laissons le Seigneur réveiller et ranimer en nous la flamme du désir de la vie et du bonheur éternels. Je nous offre à nouveau le cœur enflammé d’Augustin (Augustin qui, maintenant, vit près de Dieu, dans le bonheur dont il parle) :
« La seule et véritable vie bienheureuse…consiste à contempler l’amour de Dieu pour l’éternité, en lui étant devenus semblables…Cette vie bienheureuse…désirons-la sans cesse…il faut que nous en ayons soif maintenant dans la prière, aussi longtemps que nous vivons dans l’espérance et que nous ne voyons pas encore ce que nous espérons…Mais alors notre désir sera rassasié de bonheur et nous n’aurons plus rien à chercher en gémissant, puisque nous le posséderons dans la joie ».