Messe de la Sainte Trinité

 

Chanoine Guy Luisier, à l’Abbaye de Saint-Maurice, le 15 juin 2003.

Lectures bibliques : Deutéronome 4, 32-40; Romains 8, 14-17; Matthieu 28, 16-20

Mes sœurs, mes frères,

C’était la fin d’un concert dans un magnifique auditorium. Le chanteur en vogue avait disparu après quelques rappels et les gens commençaient à se lever pour partir tout en bavardant. Malgré les applaudissements les avis étaient très partagés entre les fans inconditionnels et les autres… Les premiers s’extasiaient sur la voix de l’artiste : « Quel chanteur, sa voix emplit la salle ! » Et quelqu’un de moins enthousiaste de rétorquer : « Oui, quelques-uns d’entre nous durent sortir pour lui faire de la place ! ».

 

La réplique est sévère mais jolie. Elle met le doigt sur les différents niveaux de la réalité et du langage. Des réalités existent et pourtant on ne peut les percevoir de la même manière qu’on en perçoit d’autres. Il est difficile de voir une voix remplir un lieu. Et pourtant la musique nous ouvre sur un monde invisible, mais ô combien réel.

 

A travers cette idée et cette image, je peux saisir quelque chose du mystère de Dieu : le mystère d’une réalité bien présente mais qui implique que l’on utilise – pour la découvrir, y communier et l’apprécier – d’autres sens que ceux qu’on utilise d’habitude. Si on admet facilement qu’il faut une oreille pour accéder au monde de la musique, qu’il faut exercer cette oreille pour pouvoir apprécier la profondeur d’une œuvre musicale, sans doute peut-on admettre que la découverte du monde de Dieu procède aussi du développement de capacités bien particulières. Ces capacités nous sont données par nature, encore faut-il les exercer… et c’est sans doute tout le drame de l’humanisme d’aujourd’hui…

 

Car il y a un chant qui remplit tout, mais qui est d’un respect et d’une discrétion tels que personne n’est obligé de sortir pour y échapper. C’est le chant familial de la Trinité sainte que nous fêtons en ce dimanche, une vibration d’amour filial et paternel entre Jésus et son Père qui se prolonge par l’Esprit saint dans les fibres mêmes de tout le créé.

 

Ce que je vous dis là peut paraître particulièrement théorique mais en fait il s’agit des sources mêmes, des fondements mêmes de notre être chrétien. Aux sources de notre foi chrétienne, nous devons poser la présence totale dans le monde d’une musique non pas monolithique mais trinitaire. Et en même temps, notre morale chrétienne, notre agir chrétien pose aussi la discrétion totale de cette musique vis-à-vis de toutes les autres musiques et autres bruits de notre monde. Présence et discrétion, ce sont ces deux points et ce paradoxe que je veux mettre en évidence dans ma réflexion pour cette fête de la Sainte Trinité.

 

Dans un monde où beaucoup de gens croient de bon ton d’afficher des incertitudes allègres et des désillusions joyeuses, il est peut-être important, et même essentiel de redire qu’il y a une musique de Dieu dans le monde créé ; que cette musique de Dieu est issue d’une relation de tendresse et de respect entre trois personnes ; et qu’elle trouve écho dans le créé à travers tout ce qui s’accueille dans la tendresse et le respect.

 

Vous voulez entendre la Trinité. Tendez l’oreille du cœur, penchez-vous avec respect sur les soucis de votre voisin, la beauté d’un chemin ou d’une œuvre d’art, sur l’espérance d’un enfant ou la sérénité d’une personne âgée. Vivez des instants privilégiés de respect et de tendresse et vous êtes au cœur de la Trinité.

Le monde créé n’est pas pour le Dieu Trinité une résidence secondaire que les personnes divines regarderaient d’un œil lointain. La création, le monde créé est épanouissement de l’amour trinitaire, dont la fécondité déborde, pourrait-on dire, Dieu lui-même…

 

Le problème de cette histoire, c’est que la vraie tendresse et le vrai respect sont par nature discrets. Par nature ils ne peuvent pas violenter l’autre. Or notre monde à force de bruits, de parasitages divers, devient progressivement insensible à la présence réelle mais discrète d’une musique de fond qui enveloppe tout le créé.

Si on ne l’entend pas (ou pas bien) cela ne remet pas en cause la réalité mais plutôt notre capacité à entendre le chant de Dieu. L’existence de la musique de Mozart ne serait pas remise en cause une éventuelle augmentation du nombre de sourds dans le monde. L’existence de la musique de Dieu n’a pas à être remise en cause par tous les durs d’oreilles qu’engendre notre société de bruit, de parasites ou de criailleries inutiles.

 

Ce chant existe, et sa force réelle en même temps que sa faiblesse apparente, est qu’il est toute discrétion. Oui mais comment l’entendre ? Les grand auteurs de l’Ecriture ont été particulièrement attentifs à cette mélodie. Tel saint Paul, dans sa lettre aux Romains que nous avons entendu tout à l’heure : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur, c’est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant : « Abba ! ».

 

Chaque fois que nous dépassons les esclavages, les peurs, les angoisses et les solitudes pour nous tourner vers le Père, chaque fois que nous disons « Abba, Père ! », dans les lieux secrets de notre prière et de notre cœur, nous entrons dans le chant de Dieu. Nous reprenons la mélodie trinitaire qui emplit le monde depuis les débuts au-dessus du chaos, jusqu’au happy end éternel.

 

Oui, il y a un sens à notre monde et à notre histoire. Les chrétiens l’ont dans le trésor de leur foi. Alors cessons d’être tétanisés par la morosité spirituelle ambiante et la désinvolture des sourds spirituels. Ressourçons nous à ce trésor. L’été est peut-être un temps privilégié où nous pouvons former notre oreille à écouter cette musique de Dieu sur les lieux de culture, de repos et de convivialité où nous conduiront nos vacances.

 

Amen.

 

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