Père Charles Christophi, à l’église Saint-Loup, Versoix, Ge, le 24 novembre 2002. Lectures bibliques : Ezékiel 34, 11-17; 1 Corinthiens 15, 20-28; Matthieu 25, 31-46 |
Beaucoup de monde emploie aujourd’hui l’expression : « Je suis croyant, mais pas pratiquant. » L’évangile d’aujourd’hui nous dit que cela n’est pas possible : on ne peut pas croire sans pratiquer. Voyez la réponse de Jésus : J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité !
Pour moi, cela veut dire qu’il y a beaucoup plus de pratiquants que de croyants… Mais, alors, que signifie être croyant ?
Laissez-moi vous raconter une histoire (« la femme du maire » de Anthony de Melo) : La femme du maire meurt et, quand elle arrive au Paradis, elle est surprise de ne pas trouver saint Pierre. En effet, Jésus a dit à Pierre qu’il avait bien travaillé durant ces 2000 ans et qu’il pouvait prendre des vacances à Hawaï. C’est donc Jésus qui remplace Pierre et qui accueille la femme du maire. Il lui demande : Qui êtes-vous ? Surprise, elle réfléchit et répond : la femme du maire. – Non, ça c’est la profession de votre mari.
– Une épouse et mère.
– Non, ça c’est votre fonction dans la famille.
– Une maîtresse d’école. – Non, ça c’est votre profession.
– Mais, je suis allé à la messe pendant 70 ans.
– Non, je ne vous demande pas votre pratique religieuse.
A la fin, elle dit : Je ne sais pas. Alors Jésus lui répond : Dans ce cas, vous devez retourner sur la terre jusqu’à ce que vous sachiez qui vous êtes !
Notre sens de l’identité est marqué par ce que nous faisons, ce que nous savons, ce que nous pouvons acheter… Dès notre plus jeune âge, nous sommes entraînés à faire le plus possible de choses, ce qui est bien le sens de l’adage : « Ne perds pas ton temps ! » La mentalité dominante est celle du faire, du courir d’une obligation à une autre, d’une activité à une autre…
Je vous donne un autre exemple. J’ai rendu visite à des amis quelques semaines avant Noël. Lui est banquier, sa femme est avocate et leur fils était à l’école. A côté du téléphone, il y avait une feuille avec toutes les choses à faire. Pour cette journée, sa femme avait écrit non pas 5, ni même 10 choses à faire, mais 18… C’est ce que j’entends par mentalité du faire et du courir. Si nous ne faisons pas cinq choses à la fois, nous ne sommes pas heureux. Nous ne sommes contents que lorsque nous produisons. Notre culture nous juge sur ce que nous faisons et comment nous le faisons, mais pas sur ce que nous sommes. C’est une culture de l’extériorité : jolie maison, jolie voiture… Notre moi est extérieur à nous-mêmes.
La réponse, que Thomas Merton propose pour stopper ce sur-activisme et retrouver notre identité, se résume en trois mots : silence, sérénité (ou calme intérieur) et solitude (non pas l’isolement, mais être avec soi-même). Thomas Keating, un autre trappiste, dit que le silence est le premier langage de Dieu et que tout le reste n’est qu’une traduction imparfaite. Grâce à ces trois mots, nous pouvons découvrir qui nous sommes. Nous pouvons découvrir que nous venons de Dieu et que nous allons à Dieu. La prière devient alors la prise de conscience de ce que Dieu fait en nous.
Dans le silence, la sérénité et la solitude, nous entendons Dieu nous parler : « Tu es mon bien-aimé ». Nous découvrons que la prière est communion. Plus nous entendons Dieu nous dire « Tu es mon bien-aimé », plus nous devenons ce bien-aimé. C’est ainsi que nous découvrons qui nous sommes : enfants de Dieu.
Ces trois mots expriment aussi la dynamique de la prière : la sérénité = le calme qui nous permet de prier ; le silence = la prière comme consentement à la présence et à l’action de Dieu dans le silence ; la solitude = le don de la contemplation, c’est-à-dire l’Esprit qui prie en nous.
Ainsi, être croyant, c’est savoir qui nous sommes. C’est alors que nous dirons : Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu ? Tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? Tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? Tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? Tu étais nu, et nous t’avons habillé ? Tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?