Messe des Rameaux

 

Père Jacques Cornet, à l’église d’Echallens, VD, le 24 mars 2002

Lectures bibliques : Isäie 50, 4-7; Philippiens 2, 6-11; Matthieu 26, 14 – 27, 66

Au terme de ce long récit de la Passion, dans les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc, est relatée la proclamation de foi du centurion romain : Vraiment cet homme était le Fils de Dieu. Cet acte de foi émane d’un homme qui ne fait pas partie du peuple choisi et qui est considéré comme « païen ». Au pied de cette croix, il représente la multitude d’hommes et de femmes qui, de toutes les nations, vont reconnaître en Jésus non seulement l’envoyé de Dieu, mais le Fils de Dieu, celui que désigne par deux fois dans l’évangile de Matthieu une voix venue du ciel : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. (Mt 3, 17 et 17,5).

Or, sous les yeux de ce centurion, c’est un homme, condamné à mort, cloué sur une croix – supplice réservé aux esclaves -, défiguré par les coups et la souffrance, exsangue, qui n’a plus vraiment une apparence humaine. C’est un homme que le soldat romain reconnaît comme « le Fils de Dieu ».

O Centurion, ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux ! aurait pu dire Jésus, comme il l’avait relevé auprès de Pierre lorsque celui-ci avait reconnu en lui le Messie, le Christ (Mt 16, 17).
Mais comment expliquer l’aboutissement de la vie de Jésus sur cette croix ? Comment expliquer la haine qui a pu naître dans le cœur de ceux qui l’ont condamné, alors que, quelques jours auparavant, il était acclamé par les foules, comme le rappelait au début de cette messe la célébration des rameaux ?

On ne peut comprendre l’infamante condamnation à mort de Jésus sur une croix en dehors du double éclairage que nous procurent sa vie publique d’une part, et sa résurrection d’autre part. Ce serait le risque de ne pas saisir le mystère de la mort d’un innocent pour nous, pour notre salut, pour notre libération.

C’est parce que Jésus a pris une certaine distance par rapport aux obligations rituelles d’une religion devenue pesante, montrant par là que ce qui doit être premier, c’est la « religion du cœur »; c’est parce qu’il a essayé de rassembler le peuple élu, en commençant par les petits, les pauvres, les pécheurs; c’est parce que ses œuvres manifestaient visiblement son origine divine; c’est parce que sa prédication sortait du cadre habituel de la routine religieuse traditionnelle : c’est à cause de tout cela que Jésus connut le sort des grands prophètes : celui de l’exclusion, de la persécution, de la mort.
Jésus ne se faisait aucune illusion sur l’aboutissement de son existence sur cette terre. Il avait lui-même annoncé à ses apôtres les souffrances qu’il devait endurer, au grand dam de Pierre. Il lit et comprend le destin qui l’attend, et il l’assume :

Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne, dit-il à ses disciples (Jn 10, 18). Il l’assume parce que ce don de lui-même jusqu’à la mort devient signe extrême de l’amour : amour envers le Père dans une obéissance totale, amour envers les hommes dans l’achèvement de la mission de salut qui lui a été confiée. La signification de sa mort, Jésus l’exprime dans le repas de la dernière Cène, lorsqu’il dit : Prenez, Ceci est mon Corps livré pour vous; buvez, Ceci est mon Sang, le Sang de l’Alliance, versé pour la multitude (Mt 26, 26-28).

Alors, cette souffrance et cette mort ne sont pas absurdes, ne sont pas perdues : la haine n’a pas détruit l’amour, le complot n’a pas réussi à perdre le Juste. Déjà le grain tombé en terre porte du fruit : le centurion reconnaît : Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu !

Frères et sœurs, quand nous nous interrogeons sur le mal qui ne cesse de se propager dans le monde, sur la violence qui se déchaîne dans les cités, sur les places publiques – et parfois même dans les écoles -, sur les interminables conflits où se manifeste la volonté d’écraser l’adversaire par tous les moyens, nous pouvons avoir le triste sentiment que le cœur de l’homme n’a pas beaucoup changé, et qu’aujourd’hui encore, en toutes ces victimes, c’est toujours le Christ que l’on crucifie et qui souffre et qui meurt. Car Dieu n’est pas indifférent à la misère de l’homme, et dans le Fils, il l’a subie, il l’a épousée, et il continue de la subir et de l’épouser. Car « le Christ a tout pris sur Lui. Il connaît toutes nos agonies » a écrit Maurice Zundel.

Mais il ne reste pas prisonnier du mal, de la souffrance et de la mort. Parce qu’il s’est abaissé jusqu’au dépouillement le plus total par amour, il a été exalté à la droite du Père, et, ressuscité, il nous entraîne avec lui dans sa résurrection. En effet, nous dit saint Paul, si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection (Rm 6,5).

 

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