Abbé Philippe Matthey , hospice du Grand-Saint-Bernard, le 31 juillet 2011 Lectures bibliques : Isaïe 55, 1-3; Romains 8, 35-39; Matthieu 14, 13-21 – Année A |
TOUT HOMME EST BÉNI DE DIEU
Vous valez beaucoup plus que ce que vous pensez !
Voilà une parole qui fait du bien : elle vient comme chercher en nous cette ressource dont nous avons besoin pour vivre. Et là, elle permet parfois des miracles…
Vous valez bien plus que les cinq pains et les deux poissons que vous avez trouvés :
allez voir plus loin, plus au fond !
Voilà donc une nouvelle bénédiction de Jésus, qui, comme toutes celles dont est jalonné notre pèlerinage, vient donner à la multitude une nourriture sans limites. Quelle est cette parole de bien ? Alors que les disciples se désolent de leur minimum, Jésus leur fait découvrir qu’il y a en eux bien plus que le minimum.
Ils font l’expérience que les cinq pains et les deux poissons c’est presque ridicule ; et pourtant ils osent les présenter à Jésus. Certains Pères de l’Eglise disaient que les 5 pains symbolisaient les cinq livres de la loi et les deux poissons, les prophètes et Jean-Baptiste. Ce n’est pas rien : c’est même ce qui a nourri le peuple jusque là. Mais dès aujourd’hui, ce peuple est innombrable, alors il faut aller plus loin.
Jésus ne dénigre pas ce maigre panier mais il vient lui donner une nouvelle dimension, à la mesure du peuple universel auquel il se donne lui-même. Et c’est déjà cela qui donne leur valeur aux disciples. Mais ils n’en ont pas encore conscience : il faut donc que Jésus leur révèle que leur valeur, ce n’est pas seulement ce qui est visible et qui se résume à eux, mais c’est ce qui est déposé en eux et qu’ils sont tout à fait capables de faire fructifier.
« Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Cette parole est accompagnée de la bénédiction de Jésus : il prend en main ce que les disciples lui donnent et il le leur confie pour le partage. C’est ainsi que Dieu agit pour nourrir l’alliance qu’il a faite avec l’humanité. Il a toujours eu besoin de ces petites mais si riches ressources qu’il y a en chacun qui est appelé. D’Abraham à Moïse, d’Élie à Isaïe, l’appel de Dieu met en route des humanités qui doutaient d’elles mais qui n’ont pas douté de lui.
Et, l’avez-vous remarqué ? C’est toujours autour d’un repas que ça se passe : de la table des trois visiteurs au chêne de Membré à celle de la Pâque et de l’agneau, à celle d’aujourd’hui qui anticipe la plus complète et la meilleure des tables, celle de l’eucharistie.
Ce qui permettait à Isaïe d’inviter à manger sans payer, défiant ainsi toute concurrence, c’est ce qui permet aujourd’hui aux disciples de partager, défiant toute limite.
A chaque fois avec une parole de bénédiction, jusqu’à celle prononcée sur le pain et le vin donnés comme le corps et le sang du Christ. Tu vaux beaucoup plus que ce que tu penses si tu acceptes de donner de toi parce que moi, Jésus, je te donne ma vie ! Et à ton tour, tu peux faire de même.
Mais il y a une condition à toute cette gratuité. Ce serait trop facile, mais peu crédible, si tout tombait du ciel comme par enchantement. Regardons dans quelles conditions Jésus nourrit la foule de ce jour.
Il nous est dit que Jésus se retire à l’écart, à un endroit désert. Il vient d’apprendre la mort de Jean-Baptiste. Il a donc besoin de recul : être seul pour vivre avec cette terrible nouvelle. Et voilà que la foule le rejoint et l’accapare. La réalité le rattrape et l’arrache à sa retraite : Jésus accepte une nouvelle fois d’être bousculé dans ses projets. C’est par là que passe sa solidarité avec toute l’humanité.
Cependant ce temps de retraite n’a pas été inutile. Au contraire, il lui a permis de faire la place, d’assumer le drame de Jean-Baptiste avant d’assumer la faim des hommes comme il affrontera la croix par la suite. C’est là qu’il nous guide. Il ne suffit pas de rester là à attendre la nourriture. Il faut affronter même nos peurs et nos solitudes et lui donner place dans nos vides
Pendant ce pèlerinage, nous avons aussi fait retraite. Non pas pour fuir le monde, mais pour prendre ce recul nécessaire à découvrir que nous avons faim, y compris dans la souffrance. Le désir ne vient pas tout seul, il est bon de le provoquer. En méditant ces paroles qui font de nous des bénis de Dieu nous avons découvert ce qu’il veut pour nous : du bien. Et parfois, dans notre réalité quotidienne, il y a encombrement et nous avons du mal à réaliser que nous sommes attendus et désirés. C’est là que Dieu lui-même prend le soin de nous dire tout le bien qu’il nous partage.
Pour cela, Jésus prend en main notre propre vie comme il prend en main les pains et les poissons. Il prend sur lui ce que nous sommes, y compris nos petitesses et nos peurs de manquer. C’est là qu’il prononce la bénédiction et qu’il commence le geste du partage. Et ce geste, il sait qu’il ne peut pas le faire tout seul : il a besoin de ses proches pour le continuer. Ce partage commencé en lui n’a plus de limites.
Il y a eu Abraham, Moïse, Isaïe et les disciples… il y a maintenant vous, moi, les baptisés d’aujourd’hui… Nous avons découvert deux trésors : d’abord qu’il y a en nous une valeur que nous ne soupçonnions pas, et ensuite que nous avons la capacité de la donner nous-mêmes aux autres. Par la bénédiction de notre baptême nous sommes donc à la fois envoyés vers nous-mêmes et vers les autres.
Par ce geste du bord du lac, Jésus anticipe la Pâque dans laquelle il se donne avec toute sa vie, jusque dans la mort, en nourriture pour tous. En acceptant de le recevoir et de le partager nous répondons à son attente et nous prenons notre place pour que le monde soit nourri de gratuité !
« Que Dieu dont l’amour est tout puissant, vous comble de ses bénédictions,
Qu’Il vous garde dans la joie et vous donne sa paix ! » (I Thessaloniciens 5, 28)